Chronique

Franck Médioni

My Favorite Things - Le Tour du Jazz en 80 écrivains

Label / Distribution : Alter Ego Editions

La consigne était simple : choisir un « album » de jazz parmi tous ceux qui existent ou ont existé parce qu’il vous a marqué à un titre ou un autre, et écrire librement à partir de là, en conservant peut-être des proportions raisonnables à votre texte. Consigne utile si l’on en juge par les dernières lignes de ce recueil, de la plume de Martin Winckler : « Un jour, il faudra que j’en fasse un roman ». J’en ai compté quatre-vingt-quatre en tout, de Michel (Arcens) à Martin (Winckler), en passant par tous les autres, connus et inconnus au bataillon, poètes, scripteurs, écrivains affirmés, en devenir, peu de femmes hélas, la complainte n’est pas nouvelle.

Le jeu du lecteur est de voir comment chacun a reçu et interprété la consigne. Beaucoup, la majorité, ont vraiment traité le sujet, ils seront complimentés. Ils disent clairement de quel disque ils parlent, à quel moment il leur est tombé dans les bras, ce que ça leur a fait, où ça se passait, quelle importance dans leur vie, comment ça les accompagne depuis, ou pas du tout. D’autres, moins nombreux, chicanent avec la règle, les poètes par exemple, surtout ceux qui présentent leurs textes comme des poèmes, voire comme des constructions typographiques (Julien Blaine). Quelques-uns en profitent pour écrire une courte nouvelle, enfin quelque chose qui a rapport au disque, au jazz, mais décalé, lointain, enfin pas trop direct si vous voyez ce que je veux dire… Ecrire, parfois, serait-ce tricher ?

La très bonne surprise de cet herbier original, c’est que la « critique de jazz » (hors spécialistes musicologues) a de beaux jours devant elle, et quelques belles plumes ignorées des rédactions en chef. Alors si l’on se régale de Marmande, de Pierrepont, de Réda (bien sûr) on est ravi de lire quelques moins connus dans le champ jazzistique, dont Didi-Huberman, Genette, Le Bris (qui avait déserté depuis longtemps), et Jean-Luc Nancy, lequel a réservé quelques superbes lignes au disque qui lui est parvenu de la collection de « feu » le free Moussaron… Qu’est-ce qu’il nous aurait écrit, Jean-Pierre, et sur quel disque ?

Bon, et après, me direz-vous ? Après, il vous reste à découvrir et déguster tous les autres, souvent surprenants dans leurs choix. Aucun pour avoir élu Miles Davis, par exemple. Pas de Lester Young, de Dizzy Gillespie, d’Abbey Lincoln. Mais de savoureuses anecdotes. Un monde privé qui s’ouvre un instant, des références à déboucher les oreilles des plus rétifs. Un excellent compromis entre les incontournables et les éternels oubliés de l’histoire. Un bon livre, qui donne envie d’écouter de la musique, à emporter sur les festivals de l’été.