Scènes

Moscow, Idaho (2)

Suite de la découverte d’un nouveau monde par Philippe Méziat.


Deuxième volet des aventures de notre reporter à Hamptonland : Philippe Méziat, ayant découvert les Amériques, redécouvre Marciac dans l’Idaho.

Michael Tarabulski a en charge les archives. Pour cet américain d’origine polonaise, le travail est immense, et les moyens insuffisants en personnel : « Voyez, tout est rangé dans des cartons, les disques sont en chambre tempérée, nous savons en gros ce que contiennent ces boîtes, mais de là à pouvoir en lister le contenu exact, en vue d’une mise à disposition sur Internet, il y a un pas à franchir… » Leonard Feather [1] a donné une partie de sa collection de disques, une grande partie de son courrier, des programmes. Nous avons vu des lettres autographes d’Eubie Blake, de Louis Armstrong, de Dave Brubeck, une quantité impressionnante de photographies de musiciens, et nous n’avons rien vu puisque les « box » sont la plupart du temps scellés. Pour l’occasion du festival, on sort le trombone d’Al Grey, une robe d’Ella Fitzgerald, un chapeau de Lionel, et on montre tout ça sous une petite vitrine…

Toute la journée, le campus – spacieux, boisé, charmant – grouille d’étudiants en recherche de leur cours, de leur salle de « clinic », terme utilisé pour désigner une leçon d’interprétation où chaque apprenant joue un morceau et subit ensuite la « critique » d’un maître. On croise avec souplesse des big bands en nombre incroyable, en quête du lieu on l’on prend la photo qui va immortaliser le groupe. Les files d’attente sont nombreuses, disciplinées, les parents ont accompagné les plus jeunes. Inutile de dire que dans la petite cité, on a loué jusqu’au dernier carré de surface libre. Une bourgade agricole [2] à l’heure du jazz. Marciac ? Non, Moscow. Le soir venu (à 19.30) le « Kibbi Dome », qui peut recevoir 16.000 personnes pour les compétitions de basket ou de football, se remplit d’une foule très jeune, attentive, chaleureuse, qui fait fête à ses héros, ceux qui reviennent chaque année, les Hank Jones, Ray Brown et autres… Lionel Hampton. Un public sage, qui suit à la lettre le programme orchestré par « Doc » Skinner lui-même. Aucun rappel, mais une longue soirée, ponctuée seulement par le passage entre les professionnels de quelques amateurs remarqués dans les « clinics ». Un drôle de mélange, une succession de solos brefs, avec une section rythmique en béton armé, qui propulse et soutient des solistes renommés, mais dont le temps de passage est bref : un solo pour Benny Golson, deux pour Carl Fontana et Bill Watrous, pas plus pour les frères Candoli, Benny Powell, un temps un peu plus long pour Lou Rawls, vocaliste proche de la variété, et aussi pour le trio de Ray Brown, ou le quintette de Roy Hargrove. Quant à Lionel Hampton et à son grand orchestre, ils ont officié le dernier soir. Avec au final un étonnant « What A Wonderful World ». Mais oui…

La suite

par Philippe Méziat // Publié le 19 mars 2001

[1Critique, producteur, pianiste et compositeur américain (Londres 09/09/1914, Los Angeles 22/09/1994). Auteur de nombreux livres, dont une célèbre « Encyclopédie du Jazz ».

[2L’Idaho est célèbre, entre autres, pour ses pommes de terre, énormes, saines, d’une belle couleur sombre.