Chronique

François Chesnel - Kurt Weill Project

Le Voyant

François Chesnel (p), Yoann Loustalot (tp, bg), Éric Surménian (db), Ariel Mamane (dr), Victor Michaud (cor, 2, 6, 10).

Label / Distribution : Sans Bruit

« Je veux être poète, et travaille à me rendre voyant […]. Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens », écrivait Arthur Rimbaud dans une lettre datée du 13 mai 1871.

En intitulant son nouveau disque Le Voyant, le pianiste normand François Chesnel rend hommage à la fois à Rimbaud (un morceau éponyme redouble l’hommage) et à Kurt Weill, musicien poète. Entre nostalgie de l’exil et bal musette, le répertoire du compositeur allemand chassé d’Allemagne par le nazisme, et célèbre collaborateur de Bertolt Brecht, est pour la deuxième fois repris par Chesnel. En 2007 en effet, un premier Kurt Weill Project, avec le même quartet, était paru chez Le Petit Label. Aujourd’hui, c’est le label dématérialisé sans bruit qui propose le disque en téléchargement sur son site avec, en invité, Victor Michaud au cor sur trois titres.

Les couleurs de la pochette annoncent celles de la musique : soleil couchant sur un quartier populaire, échappée poétique dans un monde industriel. Avec Rimbaud, ce nouveau Kurt Weill Project est clairement placé dans une perspective d’exploration sensorielle. Yoann Loustalot, à la trompette et au bugle, imprime d’emblée à cette exploration une marque brute, légèrement décalée, sagement déréglée, grâce à une sourdine ou à un tremblement. Le son vacille et voilà que l’on passe de l’autre côté du miroir, là où l’on touche la musique et où les sons ont un parfum.

Mais tout cela se fait en douceur, dans une ambiance ouatée de fin de soirée. Les mélodies de Kurt Weill, simples et évidentes, accompagnent les derniers buveurs. Parmi elles, cinq compositions de Chesnel étirent encore l’espace (il y a onze titres en tout). Là, la contrebasse (Éric Surménian) et le piano réussissent des ballades sans mièvrerie aucune qui rappellent, dans un tout autre style, le merveilleux duo Kenny Barron/Charlie Haden Night and the City. Parfois, dans ces moments-là, c’est le batteur Ariel Mamane qui serait presque en trop (« One and Only »), comme si sa présence ne servait qu’à conserver l’étiquette « jazz ». On l’apprécie mieux lorsque reprennent les malicieux refrains de Kurt Weill (« Salomon Song »), mi-chuchotés mi-dansés, à la fois espiègles et mélancoliques. Comme Arthur Rimbaud, en somme.