Chronique

Harold López Nussa

Herencia

Harold López Nussa (p), Felipe Cabrera (cb), Ruy Adrián López Nussa (dr) + invités : Omara Portuondo (voc), Mayquel González (tp), Inor Sotolongo (chekeré)

Label / Distribution : World Village

Troisième album du jeune pianiste cubain de 27 ans Harold López Nussa, à qui ses débuts fracassants au concours de piano solo de Montreux, en 2005, ont valu l’encombrante étiquette de « jeune prodige », Herencia est tout sauf le disque d’un singe savant.

Certes, l’homme a un parcours impressionnant. Fils, frère, neveu de musiciens et professeurs de musique, poussé vers le conservatoire par ses parents alors qu’il aurait peut-être préféré le base-ball, soumis à une formation de pianiste qui, dit-il, ressemblait un peu à de l’entraînement sportif, il en ressort avec un bagage d’instrumentiste multicartes qui lui fait jouer Ravel et Villa-Lobos avec des orchestres symphoniques, accompagner Omara Portuondo dans ses tournées internationales et, sur les traces de son oncle [1], se tourner à vingt ans vers une carrière de pianiste de jazz qui démarre par une rafle de prix et de concours. Pourtant, pas trace chez lui de la moindre prétention.

Trois CD en trois ans, le premier (Sobre el Atelier) en solo dans la foulée de Montreux, puis Canciones, enregistré en quartet à La Havane, et celui-ci, fabriqué en France, au titre éloquent : « Héritage ». Ou comment dire, en onze morceaux, de quoi l’on est fait, d’où l’on vient, d’où l’on joue, d’où l’on parle.

D’où l’on vient ?

De Cuba, avant tout. En témoignent le premier titre, « Los tres golpes », d’Ignacio Cervantes, très jolie « petite madeleine » créole qu’ont interprétée avant lui Bebo Valdés, Cachao López et Paquito d’Rivera, et une autre reprise, « Es más, te perdono », de Noel Nicolá, que chanta Silvio Rodríguez - ici, c’est à Omara Portuondo en personne que sont confiées les paroles.

De l’ISA, l’Institut Supérieur des Arts, qui donne son nom au troisième titre, une composition du contrebassiste Felipe Cabrera. Cela commence comme du E.S.T, mais bien vite on retrouve des rythmiques afro-cubaines et un chœur mâle qui nous renvoient au meilleur Mongo Santamaría. La trace d’E.S.T. est d’ailleurs très audible dans les compositions de Harold López Nussa (le très efficace « La Jungla », ou certains moments de « Saudade », par exemple) autant que dans son style pianistique (main droite chantante, gauche percussive et harmonies chatoyantes). Un Svensson nourri de musique classique et rock (cf. la reprise du “Tears In Heaven” d’Eric Clapton), mais aussi de son, de montuno et de trova.

Brillant sujet, sans aucun doute. Même si, bien évidemment, il lui reste un long parcours avant d’atteindre la plénitude de ses moyens et un discours plus personnel.
Le plus étonnant chez lui, c’est peut-être justement ceci : dans sa façon de jouer et d’être, rien de la présomption qu’on pourrait attendre - et même excuser - chez un « talent précoce » dûment estampillé. A la différence d’autres jeunes gens au parcours aussi fulgurant, López Nussa donne l’impression de savoir prendre le temps de mûrir. Il est là pour faire de la musique, pour y trouver et y partager des émotions, voilà tout. Une modestie d’artisan qui l’honore et devrait nous réserver de beaux lendemains.