Chronique

Claude Tchamitchian

Another Childhood

Claude Tchamitchian, cb

Comment parler d’un album quand son auteur le fait longuement, précisément, intelligemment dans le livret qui l’accompagne [1] ? Qu’écrire, pour vous donner envie de cette musique, qui ne soit pas une laborieuse compression de texte, une paraphrase pataude ? D’accord, si vous avez cliqué sur cette chronique c’est que, probablement, vous n’avez pas encore le disque et n’avez donc pas lu l’interview. Mais comme vous allez l’avoir bientôt, vous la lirez, écouteurs aux oreilles.

Au diable les analyses comparatives, les interprétations musicologiques, les références croisées. Droit au son : c’est par là d’abord qu’Another Childhood vous saisit. Le rapport de l’instrumentiste avec cette « caisse » grande comme un corps humain laisse peu de place à la pure cérébralité ; une contrebasse, ça vit, ça respire, ça chante, ça se débat avec son contrebassiste. La prise de son et le mixage de Gérard de Haro, très près de la touche, des cordes, du souffle, sont un modèle du genre : dès les premières notes de « Haute enfance », vous entrez en résonance. Vous n’entendez pas la contrebasse, vous êtes la contrebasse.

Aux prises avec cet énergumène qui vous frotte les cordes, les pince, vous cajole et vous en tire des sons inouïs, que chantez-vous alors ? Des portraits : à chaque morceau sa dédicace, musiciens aimés en toutes lettres, ou proches dissimulés derrière un prénom et une initiale. On reconnaît les premiers : l’anguleux Peter Kowald, les cascades de notes de Raymond Boni…, et l’on se dit que l’on pourrait reconnaître les seconds sans les avoir jamais vus. Comme pour tout portrait, chaque pièce rassemble celui qui regarde et celui qui voit. Plus vous, qui vibrez à l’unisson.

Musique improvisée sur la base de thèmes simples, parfois d’une simple phrase comme une ébauche, ces neuf plages ont pourtant la logique, la cohérence des œuvres que l’on a longtemps pensées. On connaît, quand il joue en ensemble [2] la capacité de Claude Tchamitchian à ordonner en quelques notes le chaos de l’improvisation collective la plus échevelée ; ici, il révèle le fondement de cette singulière habileté : sa musicalité est structurée comme un langage. Et quand il « trouve par hasard » la technique qu’il dit avoir longtemps cherchée, il trouve aussi, peut-être dans le geste lui-même, la ligne directrice du morceau.

L’ « autre enfance », la « haute enfance », c’est sans doute cette façon de brancher en prise directe l’émotion, l’intelligence et le sensoriel, de savoir montrer plus que de savoir dire. « Offrande musicale », pourrait-on sous-titrer l’album si quelqu’un n’en avait déjà eu l’idée. Pour nous, public, c’est surtout, pour la première fois, l’occasion de devenir contrebasse pendant cinquante minutes. Le genre de proposition qu’on ne refuse pas, surtout avec ce contrebassiste-là.

par Diane Gastellu // Publié le 14 juin 2010

[1Interviewé ici par Anne Montaron, l’indispensable productrice de l’émission A l’Improviste, qui disparaît de la grille de France Musiques cette saison….

[2Faut-il rappeler que Claude Tchamitchian est, entre bien d’autres choses, le leader de l’ensemble à géométrie variable Lousadzak et l’un des pivots du MegaOctet d’Andy Emler ?