Chronique

Hélène Labarrière

Les temps changent

Hélène Labarrière (b), François Corneloup (sax), Hasse Poulsen (g), Christophe Marguet (d)

Label / Distribution : Emouvance

Difficile de chroniquer un album quand il vous embarque aussi loin que celui-là et que vous n’êtes pas encore revenu(e). Plus encore quand son titre vous rappelle l’avertissement d’oncle Bob : « And Keep your Eyes Wide / The Chance Won’t Come Again / And Don’t Speak Too Soon / For the Wheel’s Still in Spin. » (The Times They Are A-Changin’)

Les yeux grands ouverts, en effet, et l’esprit : Hélène Labarrière vous emmène au-devant d’un monde aux couleurs et aux formes changeantes, aux ambiances sombres ou faussement simples, calmes ou déchirées/déchirantes.

La visite se fait dans un sens défini : les compositions s’enchaînent dans un ordre précis ; en plusieurs occasions, insensiblement, les dernières mesures d’un morceau appellent le suivant au point qu’on ne conçoit pas d’écouter une plage seule (« Un jour plus tôt » / « Regard suspendu » / « September the Bass » ; « Histoire de collection » / « Une femme sous influence »). D’ailleurs les titres eux-mêmes…

De morceaux non mesurés en binaires ou ternaires réguliers ou pas, de riffs de contrebasse en envolées de guitare parfois hendrixienne, de chorus « free » au baryton en basses presque funk, le quartet se promène et nous promène dans un enchevêtrement où il est souvent difficile de distinguer l’écrit du spontané telle est la qualité d’écoute et de communication entre les musiciens. L’auditeur n’est jamais laissé en repos : quand une tension se résout, c’est dans une fausse sérénité folk (« Good Boy ») que dément l’inquiétante pédale de La jouée par le baryton tout au long du morceau. Ou bien dans une chanson populaire, certes, mais cruelle ô combien : « La complainte de la butte », introduite en pizzicato par une contrebasse en granit brut, comme les escaliers…

Leader - guide, non dictateur -, Hélène Labarrière compose, propose et n’impose pas ; les apports de chacun des musiciens sont à égalité. Il faut dire qu’elle s’est choisi des compagnons de route à la mesure du propos. Si l’album est tout entier placé sous le signe de la mouvance et du passage, ces musiciens sont aussi de fieffés passeurs de frontières : François Corneloup au saxophone baryton, anguleux et sinueux, Hasse Poulsen à la guitare - peut-être devrait-on dire aux guitares tant sa palette de sons et de textures est étendue - et Christophe Marguet, batteur-peintre aux contributions étonnamment… graphiques.

Les temps changent et nous changent. Tenons les yeux grands ouverts ! Hélène Labarrière se charge de nos oreilles, et de ce qu’il y a entre.