Hermann Nitsch

Âmes sensibles s’abstenir.
Peintre et performeur, Hermann Nitsch participe à la création de l’actionnisme viennois [1] dans les années 60. Mais si le grand public a pu entendre parler de lui, c’est principalement dû aux cris d’orfraie de ses ennemis : les associations de défense de la cause animale et les autorités religieuses.
Et pour cause…
Disciple d’un art total avec comme modèle les tragédies grecques et le gesamtkunstwerk de Wagner, ses performances mêlent théâtre, musique, architecture et peinture avec des outils récurrents et provocateurs par leur association : le sang animal, les intestins, la nudité, la sexualité et des éléments liturgiques. Au-delà du bad buzz dont il n’arrivera jamais à se défaire, cela le conduisit plusieurs fois en prison (pour de courtes peines).
Das Orgien Mysterien Theater, le théâtre des orgies et des mystères, est son chef-d’œuvre autoproclamé. Les représentations de ce monument en constante évolution - il en a débuté la conception en 1998 - durent six jours complets en son château de Prinzendorf en Autriche.
Le double album Musik Des 6 Tage Spiels 2022, enregistré en juillet 2022, trois mois après la mort du compositeur, propose une sélection de deux heures sur les douze que compte la première journée de la pièce.
La musique, elle, bien qu’originale, n’a rien de scandaleux. Ce qui est présenté ici relève essentiellement du drone, dans la droite ligne de La Monte Young, Giacinto Scelsi ou Phill Niblock. L’orchestre qui, par la puissance de son instrumentarium, évoque le Zarathoustra de Strauss, égrène de très longs accords dont les lentes évolutions modifient la perception. On entend ponctuellement quelques coups de sifflets pour signifier les changements de consignes, et les cloches du château qui carillonnent. Le double album se clôt par un free d’orchestre dans lequel les lecteur·trice·s de Citizen Jazz se sentiront plus en terrain connu.
L’exercice du CD pour une œuvre qui s’inscrit dans « l’art total » est par définition délicat. Malgré les quelques images présentées dans le livret, il est difficile de se faire une opinion sur la globalité.
L’édition de ce premier volet du théâtre des orgies et des mystères sur le label autrichien est cependant essentielle. Elle a le mérite de constituer une archive sur le travail de Nitsch et, à une époque de création aseptique, de rappeler où se situaient au temps jadis les lointaines frontières de la subversion.