Chronique

Luzia von Wyl Ensemble

Frakmont

Label / Distribution : Lu Records

Elle est revenue ! À peine découvre-t-on Frakmont, le nouvel album de Luzia von Wyl (LW) et de son ensemble, le premier depuis 2018 et le remarquable Throwing Coins [1], qu’on constate à quel point la musique colorée et si fraîche de la pianiste suisse nous avait manqué. « Thunder », qui commence naturellement par un tonnerre d’orchestre, est un précipité de ce que LW fait de mieux : une multiplicité de chemins qui convergent et avancent à toute vitesse sans rien perdre des détails. Luxueux et simple, à l’image de ce relais passé entre l’accordéon de Gary Versace et la clarinette basse de Marcel Lüscher. Une respiration, et le temps est changeant : d’un soleil radieux on passe à un clair-obscur du piano où les nuages s’amoncellent. Où la pâte orchestrale se charge d’une rythmique qui accélère comme un coureur de fond : la batterie de Lionel Friedli s’abat comme la foudre dans un point final… Le temps change vite à la montagne.

Car Frakmont, c’est le nom vernaculaire du Pilatus, la digne montagne qui surplombe Lucerne et que LW observait depuis son balcon ; de cette vue, elle a créé une suite qui, bien que vouée à la nature, ne s’arrête pas en si bon chemin. La musique de Luzia von Wyl est avant tout celle d’un monde habité, façonné par l’humain que l’on reconnaît dans la fluide douceur qui nimbe « Mulino », où les marimbas de Fabian Ziegler, si centrales dans ces précédents albums, trouvent dans le violon de Vincent Millioud de très belles lignes de fuite. Originellement pensé pour le trombone, ce morceau s’appuie sur la flûte d’Amin Mokdad et sur les ruptures de la pianiste qui en reviennent aux marimbas, tel un cycle. Des saisons qui incarnent un temps palpable. Il y a dans la musique du Luzia von Wyl Ensemble quelque chose qui tient de l’enfance, des souvenirs sans nostalgie qui sont ordonnés par des images. Des vues du Frakmont, comme s’il s’agissait d’estampes musicales.

Il y a dans la musique de LW quelque chose d’intensément cinématographique. Si l’on connaît son rapport aux saynètes dans sa composition, on sait depuis Red qu’elle a sa propre lanterne magique, des idées qui fusent et qu’elle sait rendre tangibles. Ainsi ce « Ringel » où elle construit des chimères de pierre qui parlent aux esprits de la montagne, dans une dynamique d’orchestre d’une grande légèreté. Avec Frakmont, Luzia von Wyl décrit une réalité géographique sans rien abandonner de son imagination. C’est ce qui fait de ce premier album de son label Lu Records une référence immédiate.

par Franpi Barriaux // Publié le 28 avril 2024
P.-S. :

Luzia von Wyl (p, comp), Amin Mokdad (fl), Nicola Katz (cl), Marcel Lüscher (bcl), Maurus Conte (bsn), Vincent Millioud (vln), Karolina Öhman (cello), Christoph Utinger (b), Fabian Ziegler (mrb, perc), Lionel Friedli (dms)

[1Voir notre interview, NDLR.