Tel un dandy des temps modernes, Yochk’o Seffer traverse les décennies sans prendre de rides. Son engagement artistique est servi par un raffinement musical conjugué à une élégance picturale. CÈL est le témoin d’une vie faite de recherches incessantes et de trouvailles inédites par un homme qui bannit les frontières de genre.
Du free-jazz affirmé dans le groupe Perception aux déclamations inventives dans l’album 1001° centigrades de Magma, Yochk’o Seffer a poursuivi sa quête novatrice qui a donné naissance à Zao dont les albums Shekina et Kawana mettent en avant son style anguleux aux saxophones. Avec l’émergence en parallèle de Neffesh Music, la musique de l’âme, Yochk’o Seffer s’engage dans un univers personnel où ses origines hongroises mêlées à ses influences jazzistiques et classiques ne font plus qu’un.
CÈL s’ouvre par un DVD où des tableaux peints par Yochk’o Seffer sont projetés, accompagnés d’extraits musicaux dans un premier opus, « Passé ». On y retrouve « Gyere » et « Sifra » ainsi que « Le Sefferophone » qui accueille un autre maître des anches, Didier Malherbe. Les albums Délire, Ima et Ghilgoul figurent en bonne place : cette trilogie a marqué les esprits dans les années soixante-dix en France et n’a rien perdu de sa puissance musicale. Le Quatuor Margand s’immisce avec aisance dans les compositions ardues et l’excellent jeu de basse du futur membre de Magma, Dominique Bertram, fait merveille.
« Présent » honore le tarogato basse joué par Yochk’o dans trois pièces : « Gondolat » qui installe un climat coltranien, « Bouquet de fleurs pour Jeannine », très lyrique, et « Ritualish Alkotash 23 ». L’immersion dans le duo énergique d’« Abluob Sarat » interprété au piano ainsi qu’au saxophone sopranino par Yochk’o Seffer et François Causse à la batterie se révèle captivante. Le batteur a réalisé un travail exemplaire dans « Emlèk » par l’usage des cordes qui affichent de subtiles tensions et témoignent de l’ombre tutélaire de Béla Bartók dans CÈL. En réhabilitant le tarogato, il imprime un style novateur ; l’instrument s’ouvre à l’expérimentation sans perdre de son identité séculaire. L’intérêt porté à la famille des saxophones, tous maîtrisés par Yochk’o Seffer qui peut se targuer d’avoir enregistré Ornette for Ever en compagnie du maître américain, s’entend dans « Oxo VI » où Guillaume Orti fait chanter le baryton, et dans « Tsedec », impulsé par son alto.
« Futur » porte bien son nom : les strates harmoniques qui se construisent avec les divers programmes pilotés par François Causse épousent les compositions. « Wav III » est éclatant, le tapis de cordes devient céleste, « Flux intuitif » installe un dialogue sans cesse évolutif et les phrasés superposés de « Consolatio » mettent en valeur les chœurs. Immatériel, le vent d’est se propage dans « Mefisto-Tanc » qui s’affranchit des codes avec les subtiles interventions de Sandrine Matheron au piano et Laurent Matheron au saxophone soprano. Le jeu au piano de Yochk’o Seffer se colore de rythmes néoclassiques teintés de sérialisme : le souvenir de ses compagnons de route François « Faton » Cahen et Siegfried Kessler est manifeste. L’Ethnic Duo et le ravissant Monk for Ever trouvent là des échos mémoriels.
La longue pièce intitulée « Sohaj II » où le violon d’Hsin-Yu Shih, l’alto de Shih-Hsien Wu et le violoncelle de Laure Volpato s’unissent au piano, préfigure la genèse de canevas aventureux. Tout aussi imaginatif que les sculptophonies créées par Yochk’o Seffer, CÈL s’impose comme un triptyque musical majeur.