Chronique

Isabelle Olivier

Harpe(s)

Isabelle Olivier (harpe), Johan Renard (vln), Sébastien Texier (sax), Marc Buronfosse (b), Antoine Banville (dm), Olivier Sens (laptop)

Label / Distribution : Nocturne

« Attention ceci n’est pas un DVD ». Et non, ce n’est pas une vaine imitation de Magritte, mais une manière de rappeler que Harpe(s) offre bien plus qu’un simple concert à voir à la maison et à l’envi : nos oreilles gourmandes y découvrent, ébahies, une prestation du « Quintet Océan » entrecoupée de scènes féeriques à Porquerolles et de paroles jamais superflues de la harpiste (qui s’est notamment distinguée en composant les B.O. d’Agnès Varda ou du césarisé L’Esquive).

Les scènes d’entretien, surtout pendant les morceaux de musique contemporaine (en compagnie d’Olivier Sens au laptop), révèlent la volonté didactique du projet : s’il s’appelle Harpe(s), c’est qu’il s’agit avant tout de révéler toutes les possibilités d’un instrument multiple et varié. Sous une harpe se dissimulent en réalité une multitude d’instruments. Mariée au laptop, la harpe sait se faire inquiétante : un objet imposant qu’on ausculte avec des baguettes, dont on joue avec les pieds, qui révèle des sons déroutants et entraînants. Difficile d’y croire tant on voit souvent en elle le parangon du classicisme. Pourtant Isabelle Olivier y parvient, tout en conservant la grâce que l’imaginaire collectif associe à son instrument. Elle ne cherche pas à imposer la musique contemporaine, exigeante pour le musicien mais aussi pour le spectateur. Elle la livre en revanche sur un plateau aérien : il ne vous reste plus qu’à prendre part au voyage. Harpe(s) donne envie de manger tout ce qu’il y a sur la table : des pièces légères, osées et enthousiasmantes.

Une musique silencieuse et une voix riche (en enseignements) voilà comment on pourrait résumer Isabelle Olivier – synthèse pourtant difficile, tant une harpe a, selon elle, « plusieurs cordes à son arc » ; car les personnes qui parlent le mieux de la musicienne et surtout de sa musique, ce sont précisément Isabelle Olivier (dans les petites scènes d’interview) et sa musique (les scènes de concert). « Après Agnès Varda on ne voit plus les pommes de terre comme avant », confie-t-elle, avec raison, dans le captivant bonus « Qui que quoi ? ». Après ce DVD, on ne peut que lui retourner le compliment : plus jamais on n’entendra la harpe comme avant. Il émane de cet objet musical non identifié un amour sincère et communicatif pour l’instrument aux six octaves et aux sept pédales, tendresse que la musicienne transmet avec simplicité dans sa « Leçon ».

C’est d’ailleurs la grande réussite de Harpe(s) : diffuser le désir musical et la créativité, soit les qualités propres à un(e) grande(e) artiste. Isabelle Olivier n’invite pas à écrire sur la musique mais à se ruer sur un instrument. Elle ne cherche pas à garder la musique comme un doux et intime secret, mais fait naître la soif de la transmettre, de partager la bonne nouvelle : le jazz n’est pas mort. Du jazz, la harpiste le dit dans l’introduction, elle retient surtout la liberté : voir par exemple un « Incheon » prenant peu à peu de la consistance grâce à un vivant solo de Texier fils, qui évoque par certains accents le Sclavis de Suite africaine. Harpe(s) est aussi et surtout une collaboration : les autres musiciens sont loin d’être de simples faire-valoir, notamment Antoine Banville qui dégage un plaisir communicatif.

La réalisation montre souvent des doigts qui s’agitent et dont s’échappent quelques notes magiques (par exemple le duo harpe/violon pizzicato sur « Intermède ») parfaitement mises en valeur par la prise de son. Si certains ralentis ne sont pas essentiels et les images parfois un peu neutres, ce n’est qu’une goutte d’eau dans ce « Quintet Océan » de bonheur. Harpe(s) donne envie d’assister le plus rapidement possible à un concert in extenso de l’artiste.