Jazz à Vienne 2012 (10) - 13 juillet
« All Night Jazz » - Jazz d’avant-garde et insubmersible crooner…
C’est traditionnellement une soirée fleuve qui conclut le festival et débute avec le lauréat du concours « Rezzo » de l’année précédente. Elle se termine au petit matin après une succession de rites - café, croissant, journal du jour et ultimes notes au moment où le soleil montre son nez. Cette année, la pluie qui s’est invitée à plusieurs reprises à Jazz à Vienne s’impose à nouveau lors de la traditionnelle soirée de clôture, « All Night Jazz ».
Rappelons la règle du jeu : une succession de concerts (six au total) qui amènent les festivaliers jusqu’au petit matin blême avec, in fine, le petit déjeuner. La pluie est tenace mais pas excessivement envahissante, et ce sont près de quatre mille festivaliers qui prennent place sur les gradins du Théâtre antique, tous ponchos multicolores déployés.
C’est le Trio Enchant(i)er, lauréat du « ReZZo Focal » de l’édition 2011 qui ouvre la bal avec un jazz très contemporain, en chantier permanent et constantes remises en cause, donc. Les musiciens interprètent des morceaux issus de leur premier disque, sorti en mai dernier sur le label Naïve et enregistré au studio du Flon, à Lausanne : la traduction concrète du prix qu’ils ont décroché. Mais pas question, pour ces amateurs de risque, de se reposer sur de quelconques lauriers. Ils aiment trop parcourir les abîmes de l’improvisation collective, faire jouer l’instinct plutôt que la construction savante, et oscillent entre rock et jazz. Leur musique se révèle plus cérébrale que sensible, mais reste intéressante à découvrir.
- Tony Bennett, Marion Tisserand
Plat de résistance de cette nuit de clôture : Tony Bennett. Le crooner est une espèce en voie de disparition. On le reconnaît à un pli de pantalon plus rectiligne qu’une lame de sabre et tombant sur des chaussures brillant de tous les feux de la rampe, à l’image d’une tenue où l’on chercherait en vain le moindre défaut. Le smoking est conseillé mais pas obligatoire : on peut éventuellement le remplacer, surtout sur les scènes en plein air, par un costume moins guindé. Un blazer blanc par exemple. Mais tout cela ne saurait faire oublier le principal : le sourire enjôleur, le regard malicieux, le cheveu parfaitement en place, et surtout la voix, tour à tour sensuelle, caressante, amicale, jamais forcée, toujours bien servie par un quartet qui sait rester à sa place même lorsqu’il égrène des petites impros de génie.
Tout cela est une fois de plus au rendez-vous avec Tony Bennett. Tour de chant sans faille, sans ratures, sans omissions ; tout ce qu’on en attend, rien que ce qu’on attend. On ne résume pas soixante ans de « one man shows », même lorsque le « man » est vieillissant et que les tours complets sur place deviennent plus délicats à effectuer, même si la voix porte moins, si le souffle s’atténue. Qu’importe ! Tony Bennett est intemporel et fait tout pour l’être. Par-dessus tout reste le swing, distillé par une voix aux multiples nuances.
Que dire qu’on ne sache déjà ? Les présentations de chansons, les anecdotes humoristiques… autant de souvenirs qui jalonnent une étonnante carrière. Et bien sûr, tous les thèmes espérés, repris presque à l’identique. Près de Tony Bennett, un somptueux et discret quartet, tout à son affaire, et surtout à l’écoute du maître. Cet art de fondre la musique sous la voix, dans la voix, de la moduler de façon à ne jamais commettre d’impair ! De prendre le relais quelques secondes, le temps de quelques mesures, généralement limpides, dont on perçoit toutes les nuances grâce à une amplification soignée ! À la batterie, attentif, Harold Jones ; au piano, Lee Musiker, à la contrebasse Marshall Wood et surtout, à la guitare (Godin), un Gray Sargent à la une précision économe et méticuleuse. C’est d’ailleurs le seul tort de notre souriant crooner : avoir vouloir chanter dans le Théâtre, sans orchestre ni micro, devant les quelque 6 ou 7 000 spectateurs présents, pour cette dernière nuit. Le temps d’un rappel. Seulement voilà, Vienne n’est pas Epidaure (où l’acoustique du théâtre permet d’entendre une piécette tomber), le public n’est pas celui qui se presse en silence aux performances des orchestres de chambre, et Bennett n’est pas Pavarotti. Tant pis ! C’était courageux. Passe. Impair et flanche. C’est ainsi que le show prend fin. Sans rancune, Tony !
- David Sanchez, Marion Tisserand
Mais la soirée ne fait que commencer : après l’intermède plaisant des Jazz Crusaders, des retrouvailles avec Joe Sample, Wayne Henderson et Wilton Felder, notamment, pour un concert savoureux, trop rapidement expédié, s’annonce, au milieu de la nuit, le superbe concert d’Ibrahim Maalouf et son septet de feu. Sont encore attendus Ninety Miles (avec entre autres Stephon Harris, Nicholas Payton à la trompette et David Sanchez au saxophone). Enfin, il reviendra à Sandra N’kaké de conclure l’édition 2012. Ce n’est évidemment pas le concert le plus facile : le public a souvent déserté le théâtre, qui ne présente donc pas son meilleur visage, et une nuit entière de musique a passé. Cela n’empêche pas la jeune femme, déjà vue lors de la présentation conjointe des Nuits de Fourvière et de Jazz à Vienne à Lyon, de conclure dignement le festival.