Scènes

Jazz de printemps au Caire…

Concert au Café Ciabatta, le 27 mai 2005. Heine Hansen (p), Bo Stief (b), Alex Riel (d).


Imaginez une île, un ciel sans nuage, 28° à l’ombre, un fauteuil moelleux, une Sakara Gold bien fraîche à portée de main, et un trio jazz remarquable… Le paradis n’est plus loin !

L’ambassade du Danemark a eu l’excellente idée d’inviter l’Alex Riel Trio. Le dernier des trois concerts a eu lieu entre les bras du Nil, au Café Ciabatta, à Zamalek, île emblématique du Caire…

Alex Riel Trio au Caire - Mai 2005 © PLM

Même s’il est en plein air, l’endroit est idéal pour un concert : une terrasse isolée en contrebas, le long du fleuve. Évidemment, comme il n’y a pas de scène, pour voir les musiciens, mieux vaut arriver en avance et prendre place au premier rang.

Assis autour d’une table, le trio attend son heure. Alex Riel porte ses soixante ans avec bonne humeur. Pour l’instant, baguettes en mains, il s’échauffe en battant la mesure sur la variété que diffuse les haut-parleurs du café. Bo Stief a remplacé au pied levé Jesper Lundgaard, interdit de voyage par son médecin. Le bassiste promène avec élégance sa soixantaine, en portant un œil nonchalant sur l’assemblée. Sagement assis dans son fauteuil, Heine Hansen se concentre ; la notoriété de ses compagnons et son jeune âge ne semblent pas le troubler le moins du monde.

L’heure du concert approche. Alex Riel distribue des serviettes. Les trois musiciens s’installent pour la balance. Comme trop souvent, la batterie et la basse ont la vedette, mais Heine Hansen ne s’y trompe pas…

Heine Hansen © PLM

Avant même le début du concert, au premier rang, une table dénote ; la jeunesse dorée du Caire qui s’y est installée s’est probablement trompée de lieu. Discussions bruyantes, mouvements de chaises, éclats de rire, téléphone portable, etc. On a beau dire que le jazz est une musique de club, pour paraphraser Victor Hugo, force est de reconnaître que comme ces choses-là sont rudes, il faut, pour les comprendre, un minimum de quiétude. Quand Bo Stief et Alex Riel en ont assez d’être pris pour une chaîne hi-fi, ils le font savoir et, toujours courtoise, notre jeunesse dorée change de place. Ce qui ne met pas un terme au ballet incessant des serveurs…

Le répertoire du trio tourne autour de What Happened ?, le premier disque du trio. On trouve un mélange de standards comme « Billie’s Bounce », « Yesterday », « Idaho »… et des thèmes du trio à l’instar de « 100 m Spurt » ou « 3rd Dimension », tous deux signés Heine Hansen.

Les trois musiciens, et Alex Riel n’est pas le leader du trio pour rien, jouent dans une veine be-bop. Ils s’écoutent, s’amusent et montrent beaucoup d’affinités entre eux. Alex Riel est un rythmicien attentif, parfait de régularité - un chabada réjouissant - et son solo sur « Idaho » révèle un sens de la tension aiguë.

Bo Stief & Alex Riel © PLM

Exercice difficile avec cette batterie anémique qui, malgré les cymbales Paiste que le batteur a apportées, reste fort éloignée de sa Gretsch habituelle. A la basse électrique, Bo Stief a une sonorité légèrement sourde qui le place parfois légèrement en retrait de ses deux compagnons, mais la balance y est peut-être pour quelque chose ? Cela dit, son introduction sur « Lover, Come Back To Me » (?) est particulièrement relevée, et son jeu d’accompagnement toujours subtil ! Quant à Heine Hansen, il navigue entre Bud Powell et Keith Jarrett, avec un talent évident. Mais, comme c’est le cas chez de nombreux pianistes, il manque peut-être à sa main gauche davantage de présence. On notera que le quart de queue a rempli son rôle avec honneur.

Voilà un concert prenant, dans un lieu agréable, d’une durée presque parfaite (Alex Riel a écourté le set de manière fort surprenante), et avec des musiciens de haute volée… Vivement que l’Ambassade du Danemark ouvre un Café Montmartre au Caire !