Chronique

Alain Jean-Marie

That’s What…

Alain Jean-Marie (p)

Label / Distribution : Elabeth

Cinq ans après Afterblue, qui lui avait valu un Django d’or et le Prix Boris Vian de l’Académie du Jazz, Alain Jean-Marie revient en solo avec That’s What….

Alain Jean-Marie est sans doute le plus méconnu des pianistes connus. Pourtant, depuis 1973, date à laquelle il arrive de Pointe-à-Pitre pour jouer dans la capitale, il n’a pas arrêté de caresser l’ivoire du clavier avec une élégance qui le fait apprécier de tous les ténors de la scène du jazz, en commençant par Barney Wilen évidemment ! Mais ses collaborations avec Dee Dee Bridgewater, Chet Baker, Abbey Lincoln, Lee Konitz… en disent long sur ses talents d’accompagnateur. Sa discographie se partage entre l’introspection (les Biguine Reflections, série de quatre albums enregistrés entre 1992 et 2000), et la réflexion intimiste, soit en duo, Latin Alley avec Niels-Henning Ørsted Pedersen ou Dream Time avec Barney Wilen, soit en solo.

That’s What… a des allures de « tribute » : c’est un parcours dans l’histoire du jazz qui part du vénérable Eubie Blake - « Memories of You » - pour arriver au bouillonnant John Coltrane - « After the Rain » et « Mister Syms » - en passant par les « classiques », Billy Strayhorn avec « Passion Flower » et « Raincheck », Benny Carter et sa « Summer Serenade », et Dave Brubeck avec « Duke ». « D Waltz » » de Jimmy Heath, « Contemplation » de McCoy Tyner et « Peace » d’Ornette Coleman viennent compléter le tableau, qui ne serait pas abouti sans le morceau éponyme « That’s What Dreams Are Made Of » du contrebassiste Stafford James. Enfin, cerise sur le gâteau, « Italian Sorrow », une composition du pianiste, lui-même.

Les thèmes ont au moins deux points communs : ce sont des belles mélodies et leur tempo est lent ou médium. Les amateurs de furies virtuoses peuvent donc s’abstenir. Le point fort de cet album est l’unité. Malgré la diversité des contextes suggérés par les thèmes - de la ballade au free - Alain Jean-Marie parvient à créer son propre univers fait de sobriété, d’élégance et de swing. Son jeu privilégie clairement l’impressionnisme à l’expressionnisme. « Summer Serenade », « Passion Flower » et « Memories of You » sont particulièrement « debussystes », avec des petites phrases courtes qui effleurent au-dessus du thème, toujours en filigrane. Sur des morceaux plus puissants comme « Mister Syms » ou « Contemplation », les motifs de la main droite répondent subtilement à ceux de la main gauche, proches d’une contrebasse. « The Duke » ou « Raincheck » sont légers et enjoués avec, toujours, cette récursivité du thème. « D Waltz », « Peace » et « That’s What Dreams Are Made of », propulsés par un jeu saccadé et rythmique, balancent bien. « After The Rain » porte bien son nom : c’est le calme après la pluie de « Mister Syms ». Quant à « Italian Sorrow », c’est une très belle mélodie qui se prête sans mal au pas langoureux du boléro. Finalement That’s What… pourrait être une suite de variations sans interruption, tant Alain Jean-Marie tient le pari de l’harmonie, sans jamais, pour autant, tomber dans la facilité ni la platitude.

Loin des carrefours trop fréquentés, Alain Jean-Marie trace un chemin tout à fait personnel, qui vaut la peine d’être emprunté tant il fait bon s’y promener…