Chronique

Jean-Luc Katchoura & Michele Hyk-Farlow

Tal Farlow : un accord parfait (A Life In Jazz Guitar)

Encore une fois associés à Philippe Ghielmetti & Roman Gigou pour le graphisme, Arnaud Boubet et « Paris Jazz Corner » se font éditeurs, et quel livre que cette biographie illustrée de l’immense guitariste (1921-1998) ! Tirage limité à 1100 exemplaires avec CD en prime, 344 pages, format 22 x 27, couverture cartonnée. Les auteurs : Jean-Luc Katchoura - qui s’explique en page 5 sur les circonstances qui l’ont amené à rencontrer Tal Farlow, puis à devenir son ami, et donc à écrire ce livre - avec Michele Hyk-Farlow, veuve du guitariste, qui n’est sans doute pas pour rien dans tout ça et surtout dans le fait (rare !) que cette édition est bilingue. Si seulement nos amis anglais et américains pouvaient en prendre de la graine…

Ce livre ravira d’abord ceux, et ils sont nombreux, qui aiment la musique de Tal, né Talmadge ou Talmage, un nom prédestiné dans notre langue, car qui pourrait penser que c’est sans quelque magie qu’un autodidacte a pu mettre au point une technique de guitare pareille ? Immense, dans tous les sens du terme, et d’abord physiquement. Ses confrères et amis (de Jim Hall à Barney Kessel en passant par Charlie Byrd et Jimmy Raney) aimaient et enviaient chez lui sa grande taille, son look de séducteur et ses mains immenses, au point qu’on finit par se demander si elles lui ont été un atout ou un obstacle ! Avec tous ces dons, une gentillesse extrême, une modestie non feinte, une capacité très impressionnante à accueillir ce qui vient, et un désir de jouir de la vie en père peinard, dans sa maison de Sea Bright, près de l’océan et de ses lieux de pêche préférés. Ne rechignant aucunement aux tournées et enregistrements, c’est à dire au travail, mais pas stakhanoviste du tout (il ne perdit presque jamais contact avec son premier métier de peintre en lettres), il préféra toujours les humains à la réussite, la carrière. Avec quand même, au-delà et en point de mire, l’obsession de la musique, et de la guitare.

Car ce livre va combler aussi les amateurs de guitare, qu’ils se rangent dans la catégorie classique, rock, country, blue grass ou tout ce que vous voudrez. Tal Farlow a laissé son nom à un modèle de Gibson, non sans avoir très sérieusement aidé à la mise au point de la chose, et le livre - qui contient une iconographie d’une richesse peu commune - contient des photos de guitares à en perdre la tête. Bien calé sur la série des disques et des tournées de l’artiste, il offre une bio-discographie unique, documentée et vérifiée, permet de suivre toute l’évolution du jazz du milieu des années 50 à la fin du XXe siècle, et donne des points de repère très utiles pour qui voudrait entrer dans l’œuvre de qui fut partenaire de Red Norvo et Charles Mingus dans un célèbre trio. Michele Hyk-Farlow a ouvert tous les albums, prêté des quantités de documents précieux, rares, et très émouvants. Car on pénètre avec ces photos (personnelles, de concert, en famille, entre amis, etc.) dans l’intimité d’un homme simple, alors que sa musique fut virtuose, et même parfois tourmentée.

Pas une pochette de disque ne manque à l’appel (du moins à ma connaissance), et l’ouvrage est complété par une série de portraits de ceux qui, connus ou méconnus, ont compté dans la vie musicale de Tal. A commencer par le pianiste Jimmy Lyon, puis la pianiste Dardanelle Breckenridge, suivis du vibraphoniste Red Norvo évidemment, de Charles Mingus enfin. Nombreux relevés de solos. Et une aération de mise en page qui produit l’agréable sensation, à la lecture, d’une promenade dans un univers coloré et heureux. Un accord parfait si l’on veut, mais aussi l’idée d’accords si difficiles à « lire » que même les plus grands avouaient ne pas savoir les reproduire. Un homme unique et sa musique, bien restitués.