Chronique

Les dentelles à mamie

Les dentelles à mamie

Sylvain Bardiau (tp modifiée (ou pas)), Guillaume Dulac (mise en oreille), Frédéric Gastard (saxophones basse et ténor, p’tit synthé, pédales) ; Fabrice Lerigab (d, perc), Tangi Miossec (claviers, processeur, boîtes à sons et à boutons)

Label / Distribution : H

Ces mamies-là ne passent assurément pas leurs après-midis à jouer au bridge après avoir regardé l’Inspecteur Derrick à la télé… plus précisément, en guise d’aïeules nous sommes en présence de cinq lascars qui ne font pas dans la dentelle et nous proposent une musique à la fois dense et minimaliste, bouillonnante, foisonnante, parfois oppressante et inquiétante.

Dès l’ouverture, le ton est donné : explosion de sons et chorus de trompette débridés sur fond de bruits électroniques saturés. Le morceau, « Es ist nur Liebe », dure une minute à peine mais c’est amplement suffisant pour nous plonger dans le mystère et l’interrogation. Encore sous le choc, on cherche quelques renforts, quelques bribes d’un monde connu, dans le second morceau « Achopper », et l’on y trouve effectivement des riffs de cuivres funky et puissants précédant un violent solo issu d’on ne sait quelle machinerie électronique démoniaque, puis des ostinatos de trompette rapides et rythmiquement décalés. Cette fois-ci c’est sûr : ce ne sont pas des dentelles mais bel et bien des toiles d’araignées qu’entrelacent autour de nos oreilles ces grand-mères possédées…

La cérémonie se poursuit avec « R&R : Elégie », titre en fort contraste avec les deux précédents puisque l’on entend ici une sorte de marche funèbre très digne et lente, aux sonorités légèrement balkaniques. Le morceau est basé sur des harmonies de cuivre longues et posées, qui se mettent progressivement en retrait derrière une déchirante complainte de saxophone basse. On ne retrouvera cette apparente quiétude qu’à la fin du disque, dans le morceau « R&R : Aurore », douce ballade de trompette renforcée de quelques accords de piano.

Ces trois premiers morceaux résument ce qu’est l’album : un mélange de fourmillements musicaux, d’inventivité à grande échelle et de concentré d’énergie, de dérision et d’humour, de structures complexes à la Zappa, de chaos, de bruitages qu’on ne souhaiterait entendre pour rien au monde seul au fond d’une cave humide… « K.kompa », aux riffs lourds et puissants, est enregistré en live et permet de constater que l’alchimie ne naît pas seulement de la trituration des sons en studio, ce qui n’est guère étonnant de la part d’un groupe qui a fait plus de deux ans de scène avant la sortie de ce premier album en septembre 2003. D’autant plus que, circonstance aggravante pour le côté vivant et déjanté, le saxophoniste Frédéric Gastard a été vu en train de sacrer le Tympan ou d’ouïr la Campagnie des Musiques…