Chronique

Louis Winsberg, Antonio El Titi, Rocky Gresset

Gypsy Eyes

Louis Winsberg (g), Antonio « El Titi » (g), Rocky Gresset (g).

Label / Distribution : Such Prod / Harmonia Mundi

En juillet 2011, dans le cadre des Nuits des patios à Eygalières, lors d’un concert donné dans le jardin de Louis Winsberg lui-même, nous avions assisté au tout premier concert de ce trio dans le cadre d’une soirée intitulée La route des Roms, qui proposait un voyage parmi les différentes facettes de la musique gitane.

Winsberg, créateur de Jaleo, a depuis toujours la démarche de susciter des rencontres, de tisser des liens entre différents courants musicaux peu habitués à se fréquenter. Or, si le jazz manouche et le flamenco sont les deux courants les plus connus de la musique gitane, ils sont restés longtemps cloisonnés, éloignés l’un de l’autre pour des motifs tant géographiques que guitaristiques.

Le jazz manouche, qui s’est largement démocratisé, revient sur le devant de la scène depuis une vingtaine d’années, favorisant l’émergence de musiciens tel Rocky Gresset, qui maîtrisent parfaitement son idiome sans s’interdire d’explorer d’autres voies. Et il fallait bien cette polyvalence pour trouver sa place au sein de la complicité qui règne entre Winsberg et Antonio El Titi, compagnons de route dans Jaleo ou sur Marseille Marseille. Gypsy Eyes, particulièrement émouvant, traduit une rare capacité d’écoute et de découverte de l’autre. Le répertoire mêle habilement standards (le morceau-titre, signé Hendrix, mais aussi « Nuages », « Caravan » ou encore « Take Five ») et compositions originales, parmi lesquelles des pièces écrites spécialement pour le trio : « Chez Loulou », « Chez Titi » et « Chez Rocky ». Clin d’œil : ce « Chez Rocky », composé par Winsberg, est la plus manouche… Le morceau est soutenu par une pompe énergique tandis que « Chez Loulou » - signé Gresset - s’aventure dans le monde des voicings cher au fondateur de Sixun. Le choix des titres et l’écriture proprement dite manifestent donc une volonté commune de s’aventurer dans le monde de l’autre.

Les trois guitaristes évitent intelligemment les écueils, notamment la facilité du disque façon jam session, grâce à une subtile alternance de tempos et d’atmosphères. Surtout, ils ne tombent jamais dans la virtuosité tape-à-l’œil. Les pièces sont courtes - trois à quatre minutes -, ce qui incite les musiciens à développer un discours incisif et bien construit, et proscrit les solos interminables. Il ne s’agit pas ici de montrer ce qu’on sait faire, mais de mettre le talent et la sensibilité de chacun au service du groupe. Le résultat est une remarquable symbiose entre musiciens issus d’influences très variées.