Chronique

Neil Cowley Trio

Touch and Flee

Neil Cowley (piano), Rex Horan (contrebasse), Evan Jenkins (batterie)

Label / Distribution : Naim Jazz

« Je prends des choses banales, de tous les jours, et j’essaie de faire sortir des montagnes musicales de ces petites taupinières. » Déjà, en 2012, à la sortie de The Face of Mount Molehill, Neil Cowley revendiquait ce parti-pris de la simplicité, soutenu par un ensemble de cordes et invoquant des influences diverses, du jazz à la pop, en passant par le rock. Avec Touch and Flee, le trio du Britannique donne une nouvelle dimension à ce dépouillement savoureux. Des mélodies efficaces, répétitives, touchant à la frugalité musicale et qui, parfois, s’expriment en thèmes amples quasi cinématographiques, et d’autres en formules rythmiques beaucoup plus marquées, saccadées. Un « touch and flee » permanent, en somme, entre caresses et fuites, légères ou sombres, naïves ou oppressantes. Et, surtout, cette impression que le trio nous livre ici un manifeste. Le manifeste d’un artiste désormais confirmé qui s’est progressivement enrichi auprès des plus grands, a côtoyé des hyper-productions et fait aujourd’hui le pont entre le jazz, ses puristes et cet autre public, sourd à une musique bien souvent trop complexe.

Évidemment, Touch and Flee est de ces accouchements qui prennent leur temps, issu d’une carrière déjà riche de collaborations avec Stereophonics, Birdy ou Emeli Sandé, de films ou de publicités. Mais la maturité lui donne une résonance toute particulière. La maturité, mais pas que… Car les présences combinées d’Evan Jenkin et sa silhouette longiligne, à la batterie, et du contrebassiste Rex Horan et sa barbe aux rousseurs foisonnantes, assurent l’unité de l’ensemble du premier au dernier titre du disque. Ce dernier, enregistré dans les studios RAK, à Londres, mythique place forte qui vit passer les Who, Radiohead ou David Bowie, évoque autant les « hooks » d’Esbjörn Svensson que le minimalisme de Michael Nyman, symbole d’influences qui pourraient paraître contradictoires si elles ne se mariaient à merveille sous les doigts du Trio.

Les deux premiers morceaux en sont la pleine illustration. Au thème aérien de « Kneel Down », soutenu par l’ostinato addictif de Rex Horan qui l’emmène vers un crescendo tronqué, succède l’élégante vivacité de « Winterlude », dont les trois mouvements courts mais distincts se jouent des modes et des couleurs. Cette alternance, on la retrouve tout au long du disque avec des thèmes dont les variations rêveuses résonnent (« Sparkling à Bryce », « The Art ») en d’inlassables leitmotive. Variations que viennent briser des fuites en staccati comme sur « Couch Slouch », où batterie et contrebasse stimulent le piano en une conversation à trois, voire un étonnant rappel des liens entre Cowley et la musique électronique, façon Tetris ou Mario Bros au milieu des Eighties, sur les premières mesures de « Mission ».

Qu’il semble loin le temps du BBC Jazz Award reçu en 2007 pour Displaced… Pour autant, si les hommes ont changé, si le projet a évolué jusque dans les fondamentaux esthétiques, l’essentiel demeure, et Rex Horan le rappelle : « Il s’agit d’être solide, inventif et imaginatif. De respirer, de sourire. Et j’espère que la musique que nous jouons permet aux gens de sourire également. Qu’elle les aide à respirer. » En toute simplicité.