Chronique

Open Systems

Assif Tsahar (ts, bcl), Hugh Ragin (t), Peter Kowald (b), Hamid Drake (d).

Label / Distribution : Marge

Le jazz ayant traversé ses (premières ?) années de gloire et se trouvant maintenant doté d’une tradition riche mais de plus en plus multiple et dispersée, on se trouve souvent confronté à une situation qui peut laisser perplexe : des musiciens dépositaires d’au moins une bonne partie de cette tradition, qui la jouent superbement bien, mais en laissant de côté le souci d’être original.

Certains le déplorent, car c’est parfois - souvent - le signe d’une manque d’inspiration. Mais ce n’est pas moi qui mettrai en avant l’innovation comme seule valeur qui vaille, l’originalité comme graal sacré. On oublie trop souvent les trésors de personnalité que recèlent bien des enregistrements de musiciens qui n’ont rien inventé sur le plan formel. Si les traditions existent, c’est bien qu’il y a de quoi revivre quelque chose, c’est bien que ça nous touche toujours.

Les quatres musiciens d’Open Systems se réunissent pour ce projet autour d’une musique emblématique, le « free jazz » américain des années 60. Les compositions sont presque toutes originales (quatre sur sept sont du saxophoniste Assif Tsahar), mais les références à Ornette Coleman et Albert Ayler sont explicites ; à peu de choses près, ce CD aurait pû être enregistré il y a quarante ans. Ce dialogue mélodique ténor/trompette très libre, sans instrument polyphonique pour le contraindre, ce bourdonnement grave de la contrebasse, ce rhythme à la fois urgent et en suspens - il s’agit d’un langage qu’on a eu le temps de connaître et de reconnaître. N’empêche qu’il est beau et voué autant que le bebop à rester d’actualité dans une forme pourtant aboutie.

On ne peut qu’être impressionné par l’aisance et l’à propos musical de ces quatre musiciens, pour lesquels ce style de musique fait partie de leurs racines - électives sinon géographico-temporelles. Il y a ce côté jouissif que permet le savoir-faire. Les morceaux les plus atypiques sont l’oriental « Hearts Remembrance », chanté apparamment par l’israélien Tsahar avec l’accompagnement du regretté Peter Kowald, qui chante dans un registre très grave en parallèle à sa contrebasse, et « Dreamweavers », sorte de conversation calme et onirique à quatre voix décrite par Alexandre Pierrepont (dans ses notes de livret, par ailleurs parfaitement illisibles) comme « des aiguilles qui coudent le réel ».

Nostalgie des années 60 ? Je ne pense pas. La nostalgie, c’est regarder en arrière. Quand on participe à une tradition vivante (en tant que créateur ou simple auditeur), par contre, on ne voit pas le temps passer.