Entretien

Patrice Boyer

Charleville Action Jazz fêtera le mois prochain ses vingt ans et Macao en profite pour poser quelques questions sur l’association et plus largement sur le jazz ardennais à l’un de ses fondateurs, Patrice Boyer.

  • Charleville Action Jazz fête cette année ses vingt ans, comment est née l’association ? Je crois que tu organisais déjà des concerts depuis quelques temps à ce moment-là ?

De retour du Gaume Jazz Festival en 1989, nous projetons avec mon ami Yannick Honet de monter une association pour promouvoir le Jazz dans les Ardennes.

Le premier concert que j’ai organisé date de 1972 à l’Ecole Normale de Charleville-Mézières. Il s’agissait du Dharma Quintet peu après, au retour du Festival de Châteauvallon, nous créons avec des amis l’association OZONE. De manière totalement marginale, sans aucune subvention, nous avons programmé une quarantaine de concerts : de la pop progressive, de la musique africaine, et déjà du jazz. Puis à la fin des années 70 : Ozone partie du réseau « Rock in Opposition » et accueille les anglais Fred Frith avec Chris Cutler et Art Bears, This Heat, les suédois de Zamla Mammas Manna, les belges « Univers Zéro », les français Art Zoyd, et bien d’autres.
Retour en 1989 : je rassemble quelques anciens d’Ozone, Yannick Honet branche quelques musiciens de Tropic Carolo Combo, et nous créons Charleville Action Jazz , qui accueille pour son premier concert Trio Machado, avec déjà deux jours de stages en préalable au concert.

- Comment conçois-tu votre rôle d’organisateur, je veux surtout parler du rapport au public et aux artistes, du côté militant de cette activité, surtout concernant ces esthétiques associées au jazz ?

Photo X/DR

Pour nous, le rapport aux artistes est privilégié, puisque nous souhaitons avant toute chose faire partager notre passion, nos coups de cœur. Ensuite, nous tenons compte du public, en évitant de programmer trop de concerts « pointus », et en invitant quelques artistes fédérant des publics variés, tout en restant dans la ligne esthétique que nous nous sommes fixée : nous défendons un jazz de création, des musiciens possédant un univers personnel.

- Pourrais-tu nous présenter un rapide panorama actuel du jazz et des musiques improvisées dans les Ardennes, que ce soit du côté des organisateurs, des artistes ou du public.

Côté organisateurs, « Le Jazz est là », anime un petit festival et un stage début Juillet. Nous avons participé aux deux premières éditions avant que « Le Jazz est là » ne prenne son autonomie. « La Libellule Verte », animée par le musicien Marcel Ebbers, qui organise des Jam-sessions dans le sedanais, semble en sommeil actuellement.
Côté musiciens, il y a peu de « professionnels », (mis à part les profs des écoles de Musique), par contre, pas mal de pratiques « amateurs », parmi lesquelles quelques Big-Band. Marcel Ebbers est très actif, au sein de différents projets (dont le quartet régional de Mathias Neiss où l’on retrouve également le guitariste Stéphane Bartelt. Le guitariste Jean-Jacques Descamps navigue entre musique classique, Brésil et Jazz. Il y a aussi « Antidote », combo de funk-jazz. et le trio de Francis Coche.
A l’ENMD, les élèves du Big-Band bénéficient des résidences d’artistes que Charleville Action Jazz propose (Pour 2009/2010, rien moins que Nicolas Folmer )…

- Pour célébrer votre anniversaire, outre un très beau double plateau avec le duo d’Isabelle Olivier et Youn Sun Nah, suivi du Strada sextet de Henri Texier au Théâtre, les expositions que vous organisez dépassent le cadre du jazz et de votre seule activité de ces vingt dernières années. Peux-tu nous présenter cela plus précisément ?

Nous présentons l’exposition Jazz Arts à la Vitrine du Conseil Général, Place Ducale, du 6 au 28 Mars. Le projet de départ, une exposition de photos de concerts, s’est ouvert à des plasticiens inspirés par le jazz, notamment l’artiste belge Catherine Lhoir qui propose un parcours sculptural de 14 oeuvres réparties entre la Place Ducale et le jardin du Musée de l’Ardenne.
Des thèmes seront développés : Jazz et Peinture, Jazz et Littérature, etc, et 6 kakémonos retraceront l’histoire de Charleville Action Jazz, mettront en valeur les actions pédagogiques, mais aussi les musiciens originaires de Charleville-Mézières, Médéric Collignon en tête…

- Comment et sur quels critères se sont faits vos choix pour célébrer cet anniversaire ?

Nous avons programmé Henri Texier parce qu’il représente une « valeur sûre », populaire tout en était innovant : Une musique festive n’excluant pas une certaine gravité.
Le duo de Youn Sun Nah et Isabelle Olivier est une belle rencontre entre deux musiciennes qui nous ont offert quelques moments magiques dans le passé, et on avait envie de célébrer notre anniversaire en leur compagnie…

- Quels sont les projets de l’association pour l’avenir ?

Nous avons simplement l’envie de continuer le travail entrepris, aussi bien côté diffusion que pour les stages proposés à l’ENMD. Nous participerons à la « Nuit Blanche » organisée début Octobre par la Ville de Charleville-Mézières. Quelques noms pour 2010/2011 : Gaïa Cuatro, Hadouk Trio, Médéric Collignon « Jus de Bocse », le reste de la programmation n’est pas encore définitif, alors ne nous avançons pas.

- Tes plus grands plaisirs d’organisateur ?

La rencontre de mythes tels que Roy Haynes, Mal Waldron, Jeanne Lee, Brad Mehldau a été très gratifiante. La création en 2003 de « Variations sur la Musique de Robert Wyatt » a été une aventure passionnante, et le succès de la soirée, avec un public venu de toute l’Europe, a été couronné par un coup de fil de Robert Wyatt me disant que l’écoute de l’enregistrement du concert lui redonnait l’envie de faire de la musique.
Je n’oublie pas de merveilleux moments plus intimistes à l’ENMD, trop nombreux pour les citer. Et Mats et Morgan Band pendant le dernier Festival Tambours de Fête devant un public sidéré…


Propos reccueillis par Pierre Villeret, entretien initialement paru sur le site de Macao


Nous avions demandé à Patrice Boyer ce qu’il écoutait ces derniers temps, voici sa playlist.

  • Tim Buckley Live at the Folklore Center 1967 (Tompkins Square Records, 1967)
  • David Sylvian Manafon (SamadhiSound, 2009)
  • Colin Vallon Trio Ailleurs (HatHut Records, 2006)
  • Flat Earth Society Cheers Me Perverts (Crammed Discs, 2009)
  • Eric Löhrer Quartet Sélène Song (Subsequence, 2008)
  • Yeti Lane (Clapping Music, 2009)
  • Das Kapital Ballads & barricades : Das Kapital plays Hanns Eisler (Quark records, 2009)

par Macao // Publié le 1er mars 2010