Chronique

René Aubry

Chaos

René Aubry ( g, p, prog, mand, acc, banjo).

Label / Distribution : Music Box Publishing

René Aubry est un artiste discret et solitaire. Ce Vosgien sexagénaire et autodidacte s’est pris de passion pour la danse et la chorégraphie après sa rencontre avec Carolyn Carlson à la fin des années 70 et composera pour elle ses premières musiques de ballet. Au-delà de différentes collaborations, notamment avec Pina Bausch, le marionnettiste Philippe Genty ou plusieurs BO pour le cinéma (Wim Wenders, Paolo Sorrentino), ce multi-instrumentiste a élaboré une discographie désormais fournie, dont Chaos est le vingt-sixième chapitre.

Tout comme son compositeur et interprète unique, Chaos déploie des nuances très subtiles qui témoignent d’un art véritable de la suggestion mais aussi (et surtout) d’une prise de conscience de l’équilibre précaire de notre monde malmené par l’activité humaine. C’est en quelque sorte une chronique poétique de cette période géologique qu’on nomme l’anthropocène. En seize temps qu’on pourrait qualifier d’éphémères (la durée des compositions varie le plus souvent entre deux et trois minutes), René Aubry fait une démonstration, envoûtante il faut bien le dire, de sa capacité à élaborer des atmosphères au cœur desquelles les mélodies sont la plupart de temps esquissées et les instruments au service d’évocations sonores en prise directe avec la nature. On pourra entendre la pluie, l’orage, un battement d’ailes… Parfois un clocher vient souligner la présence des humains. Car, rappelons-le, c’est bien la relation entre la nature et l’homme qui est ici exacerbée, pour ne pas dire sublimée, soit de façon figurative avec l’évocation d’une montagne, d’un lac, d’une rivière, du brouillard ou d’un désert ; soit par tout ce que peut susciter la conscience de n’être qu’une parcelle de l’univers. La musique se fait alors le témoin de notre vie intérieure qui peut être lumière, envol, oppression ou deuil.

On l’aura deviné, Chaos n’est pas un disque joyeux et encore moins superficiel, tant s’en faut. Sa musique consciente se présente comme un appel à la méditation, au retour sur soi, et veut nous faire comprendre ce que disait Louis-Ferdinand Céline, dont une citation est mise en évidence sur la pochette : « La conscience n’est dans le chaos du monde qu’une petite lumière, précieuse mais fragile ». L’esthétique du disque – dominée par les guitares, le piano et l’électronique – est d’une indéniable élégance : se mêlent des instants recueillis évoquant l’ambient music (on pense souvent au travail de Brian Eno) et des climats parfois voisins de la musique planante des années 70 (comme Tangerine Dream ou Pink Floyd au temps de l’album Obscured By Clouds). On sort de ces quarante minutes évanescentes en prenant soin d’avancer sur la pointe des pieds, l’œil aux aguets, pour ne pas prendre le risque de perturber un peu plus l’agencement de notre environnement. Finalement, Chaos est peut-être un disque à visée écologique. Il a tout pour être durable.