Chronique

Sylvain Beuf, Michel Perez, Diego Imbert

Triple entente

Sylvain Beuf (sax), Michel Perez (g), Diego Imbert (b).

Attention, il y a de l’augmentation de capital dans l’air ! Rien à voir, toutefois, avec un quelconque diktat en provenance de l’univers implacable et désincarné de la sphère financière. Ici, il est question – et seulement question – d’un capital humain qu’il faut entretenir avec une grande attention et dont la croissance n’a d’autre but qu’une célébration encore plus fervente de la musique. Et plus spécifiquement du jazz, chacun l’aura compris, qu’on n’hésitera pas à qualifier de traditionnel en ce qu’il s’inscrit dans l’héritage direct du bebop avec, chevillées aux instruments, toutes les perspectives ouvertes par l’alliance du swing et de l’improvisation. Une approche classique qui n’en est pas passéiste pour autant, tant l’idée de permanence émerge à l’écoute de Triple entente. Après avoir démontré les bienfaits de leur Double entente en 2013, le guitariste Michel Perez et le contrebassiste Diego Imbert ont fait appel à un troisième équipier en la personne du saxophoniste Sylvain Beuf. Autant dire que ces trois-là s’y entendent pour nourrir un dialogue d’une vivifiante spontanéité.

Avec ce disque publié chez Trebim Music, ils réussissent à préserver le caractère à la fois volubile et intime d’une première conversation à deux, tout en l’enrichissant de nouvelles nuances, comme une évidence. On ne saurait d’ailleurs imaginer un titre qui traduise mieux ce qui caractérise cette suite donnée au précédent disque : continuité, groove et limpidité. Au-delà des qualités intrinsèques de chacun des musiciens, au-delà même d’une démarche consistant à plusieurs reprises à pratiquer la « démarcation » [1], le trio lance ici une lumineuse invitation au voyage dans le temps si particulier du jazz. Sommes-nous aujourd’hui ? demain ? ou quelques décennies en arrière ? Voilà bien trois musiciens qui n’ont que faire des effets de mode – et de l’obsolescence programmée de tant de choix artistiques – et préfèrent se concentrer sur ce qu’on appelle, dans la pratique des sports collectifs, les fondamentaux. Cette musique chante des mélodies amoureuses où le saxophone de Sylvain Beuf fait une cour suave aux cordes de Michel Perez, elle balance avec une assurance tranquille qui doit beaucoup à la vigilance rythmique d’un Diego Imbert dont on devine le sourire qui ne le quitte presque jamais.

On s’imagine installé tout près des musiciens, au pied d’une scène exiguë, dans l’intimité d’un club où le temps semble s’être arrêté. Un retour aux sources, une grande respiration : c’est ainsi qu’on doit comprendre cette Triple entente qui, allez savoir, n’a peut-être pas achevé sa croissance et s’avère une fois encore un plaisir gourmand. Avis aux amateurs !

par Denis Desassis // Publié le 24 juillet 2016

[1La démarcation consiste à emprunter la grille harmonique et la structure d’un standard pour composer une nouvelle mélodie. Ici par exemple, « On Green Dolphin Street » donne naissance à « Dauphin Bleu », « All The Things You Are » à « Last Moment » ou « You Stepped Out Of A Dream » à « Dream Team ».