Entretien

Reza Ackbaraly

Entretien avec le programmateur de Mezzo depuis 2003 et du Jazzmix Festival.

Citizen Jazz : 2008 est la première édition de ce festival à New York. Mais Jazzmix semble déjà avoir un long parcours, que ce soit à Vienne, à Belgrade ou également sous forme de programmes audiovisuels sur la chaîne Mezzo ?

Reza Ackbaraly : Jazzmix date de 2005. À la suite d’un choix éditorial, Mezzo a retiré de ses grilles une programmation « musique du monde » afin de se concentrer sur le jazz et la musique classique sous forme de captations de concert. Je trouvais cette décision incohérente puisque, à l’image de FIP ou de toutes les grandes salles de spectacle (de Pleyel au Carnegie Hall), il était pertinent d’avoir une chaîne de télévision musicale de qualité pour adulte. Pour ma part, je n’ai aucun problème à écouter et à faire succéder de la musique persane avec de la musique brésilienne, puis du classique avec du jazz européen. Lorsque tout s’est arrêté, j’ai eu un grand conflit avec la direction afin de trouver une solution. Jazzmix est donc né. C’était un nouveau format qui continuait à parler d’autres genres musicaux que le jazz et le classique. Je prenais bien entendu le jazz et le blues comme origine, mais pour partir dans tous les sens ! Sous forme de contenus courts avec des extraits de concert, des clips. Nous passions sans transition de Sarah Vaughan à Björk, ou de James Brown à Duke Ellington. Les spectateurs découvraient plein de musiques et ont tout de suite été au rendez-vous. Aujourd’hui Jazzmix est terminé mais je le continue la nuit sous une autre forme. Il y a toujours des clips, mais la sélection de tous ces formats courts nécessite énormément de temps.

- Et pour Vienne ?

Jazz à Vienne… C’est différent. Je connaissais bien la programmation de ce festival. En parallèle de la programmation « All stars » au Théâtre antique, la programmation de la Verrière se voulait être plus « dance floor » car le public vieillissait et on essayait de faire revenir les » jeunes » avec des DJ et du live ; mais la formule n’a pas pris et l’équipe a quitté le navire. Le festival m’a chargé de reprendre cette thématique. Je trouvais dommage que dans un festival majeur tel que le leur, on booke des DJ alors qu’il existe plein de formations live possédant une grande exigence musicale, avec un background jazz, et qui pourraient parfaitement faire l’affaire. Jazzmix est donc né pour permettre la rencontre d’artistes qu’on ne voit pas ailleurs, ou très peu, et proposer une seconde partie de soirée plus festive. Je suis d’ailleurs assez critique sur la programmation des festivals, notamment en France, où ce sont presque toujours les mêmes noms qui circulent. C’est un vrai danger pour la musique, les festivals et les médias car le renouvellement ne se crée plus. 

Nasheet Waits © Josselin Carré

- Oui et non… car de par votre profession à Mezzo, vous voyagez beaucoup. Or, un passionné de jazz qui habite Reims se moque de savoir si l’artiste est également booké à Marciac, Porquerolles ou en Normandie.

Bien entendu, mais je parle du cas de figure où certains artistes reviennent tous les ans au même endroit ! Je pense à Marciac et même à Vienne avec des artistes tels que Zorn, Meldhau, Hancock, Rollins, Galliano et Lockwood. Je n’ai bien entendu rien contre ces artistes, mais la scène est très vaste et comme le disait si justement le festival Jazz La Villette l’an dernier : « Jazz is not dead ». Il y a un potentiel créatif énorme et l’essence du jazz, c’est avant tout la curiosité et la rencontre. C’est à nous, médias, et festivals, d’attiser la curiosité des gens. J’ai par exemple des amis qui sont blasés de voir tous les ans Herbie [sic]. Est-ce judicieux de le programmer tous les ans ? Je le dis pourtant en me réclamant de la génération Hancock ! 

- Votre constat est qu’il y a une dilution de la prise de risque dans les festivals ?

Oui, il faut aller chercher les choses, susciter et provoquer des rencontres. J’ai la chance de connaître pas mal de jazzmen qui me parlent de leurs projets. Certains m’expliquent que leur quartet ou quintet tourne bien en Europe, mais qu’ils possèdent également des projets annexes dans la bossa, le rap ou le classique… Un exemple avec Omar Sosa. Lors d’un concert de son quartet, il m’a parlé d’un percusioniste fou rencontré à São Paulo, Ramiro Musotto. Comme Jazz à Vienne et plus particulièrement Jazzmix se veulent une plateforme promouvant des formations inédites, on a l’invité avec Omar Sosa cette année.
L’idée est également de mettre en avant des sidemen qu’on ne voit pas, en Europe, jouer sous leur propre nom. A New York, le 22 novembre, Jaleel Shaw jouait avec son quartet. En Europe il ne peut être vu qu’avec Roy Haynes. Même chose pour Vijay Iyer. Ils ne viennent jamais sous leur nom, car ils ne sont pas encore connus. Ambrose Akinmusire, par exemple, qui était programmé le 2ème jour du Jazz Standard, était déjà venu en invité à Vienne pour une création. avec Mike Ladd et Grand Pianoramax.

- Parlons de New York justement. Les trois mots magiques : New York, jazz, club !

New York… Je connais bien puisque j’y ai travaillé entre 2000/2001 chez SunnySide Records aux côtés de François Zalacain. C’est à cette période que le mythe s’est confirmé. Quand on est amateur de jazz, on ne peut qu’être conquis par cette ville ! C’était une superbe expérience de sortir tous les soirs étant donné le nombre d’artistes présents ici et New York était bien évidemment un terreau favorable pour un Jazzmix festival. De l’espace et de la créativité !

Steve Lehman/Vijay Iver © Josselin Carré

- Un des prolongements de ce Jazzmix new-yorkais est la captation des concerts.

Je me rends compte qu’il y a peu de concerts filmés de jeunes formations. Cela rejoint ce que je disais précédemment sur les « grands noms » en festival. Dans les années 50/60, il y avait de nombreux concerts filmés mais c’étaent le plus souvent les mêmes : Louis Amstrong, Miles Davis, Ella Fitzegerald, Nat king Cole… C’est génial, je ne le conteste pas, mais pour ceux qui étaient un peu derrière en terme de notoriété, il existe très très peu de documents. Je pense à des artistes comme Jackie McLean, Albert Ayler, Cannonball Adderley, Roland Kirk… Je le sais de par ma fonction de programmateur à Mezzo. Il y a peu d’archives disponibles. Et je ne veux pas que dans quarante ans nos gosses ne voient que Wynton Marsalis, Herbie Hancock ou Sonny Rollins et se disent : « Dans les années 2000, il s’est passé ça ». C’est faux. Il s’est passé plein d’autres choses. C’est donc ma démarche avec les Jazzmix Festival et Mezzo : montrer une plus grande diversité. 

- On arrive à la fin du festival ; un événement marquant sur scène ? 

Ce soir était un grand moment qui m’a fait penser à un album de Coltrane en duo avec Rashied Ali. Deux batteurs, un sax. Nasheet Waits, Eric McPherson et Abraham Burton. C’était fou. À la fois l’Afrique et New York, avec la Knitting Factory qui a d’ailleurs déménagé fin décembre. L’ouverture du Jazzmix était également puissante. Elle devait marquer l’esprit mix du festival avec Val Inc. que j’avais rencontré lorsqu’elle était l’ingé son d’Anthony Braxton dans un festival en Europe. 

- Dans tous les cas, c’était également spectaculaire de voir les équipes techniques : huit concerts filmés en huit jours et dans huit clubs différents !

Oui, la série se veut une carte postale non figée de ce qui se passe à New York. Il y a tellement d’artistes que je n’ai pas la prétention de montrer ce qui se passe dans cette ville mais plus de montrer ce qui se passe, « en autres » à New York !

Marvin Sewell/Val Inc/Jowee Omicil © Josselin Carré

par Josselin Carré // Publié le 12 février 2009
P.-S. :

Le site de Josselin Carré

Jazzmix Festival 2009 (New York) :

  • Mardi 18 novembre 2008 : the Drom
    Val Inc / Marvin Sewell / Jowee Omicil
  • Mercredi 19 novembre 2008 : Jazz Standard
    Ambrose Akinmusire quintet
  • Jeudi 20 Novembre 2008 : Zinc Club
    The Jason Lindner Big Band,
  • Vendredi 21 Novembre 2008 : Harlem Hip Hop Cultural Center
    Chris Dave & friends
  • Samedi 22 Novembre 2008 : Jazz Gallery
    Jaleel Shaw
  • Dimanche 23 Novembre 2008 : Joe’s Pub
    Theo Bleckmann & Kneebody
  • Lundi 24 Novembre 2008 : Le Poisson Rouge
    Fieldwork
  • Jeudi 25 Novembre 2008 : Knitting Factory
    Nasheet Waits / Eric McPherson / Abraham Burton