Chronique

Rivers and Tides

Andy Goldsworthy et l’Œuvre du temps

Il aura fallu quatre ans pour que ce documentaire - pourtant primé à sortie dans son pays d’origine, l’Allemagne - soit enfin distribué dans l’Hexagone. On peut certes le déplorer, mais force est de reconnaître que la connaissance de cette information n’influe en rien sur les émotions ressenties à la découverte de l’œuvre résolument intemporelle d’Andy Goldsworthy, auquel Rivers and Tides est entièrement consacré.

Il n’existe pas encore de terme pour désigner la discipline artistique inédite à laquelle se consacre le Britannique : plasticien, sculpteur, photographe, il est un peu tout cela à la fois ; c’est aussi et surtout un poète. Les travaux de Goldsworthy sont une réinvention de la nature, mariage bouleversant de surréalisme et d’authenticité organique.

L’exercice n’est certes pas nouveau : la nature est spontanément artiste, génératrice de beauté et de perfection. Mais Goldsworthy ne se contente pas de capter son génie involontaire, pas plus qu’il n’a recours aux artifices technologiques pour arriver à ses fins : tout au plus donne-t-il un léger coup de pouce aux éléments, auxquels il se soumet par ailleurs totalement.

Le processus créatif de l’artiste s’ancre en effet dans une connaissance intime et un respect profond des mécanismes naturels, tour à tour architectes et destructeurs d’œuvres le plus souvent éphémères : ainsi ces empilements de cailloux ou de branches que la marée finit par démanteler, ou ces sculptures de glace auxquelles le soleil donne la vie par sa lumière, puis la mort par sa chaleur.

L’acceptation par Goldsworthy du risque de voir son travail ainsi ruiné par la nature est au cœur du pacte qu’il scelle avec celle-ci, et de ce qui rend sa démarche profondément digne de respect. Rien à voir cependant avec un énième plaidoyer pro-environnemental : si l’artiste prêche, c’est uniquement par l’exemple, sans chercher à délivrer d’autre message que sa conscience, modeste et profonde, de faire partie d’une continuité, d’un processus évolutif long de millions d’années.

La musique composée par Fred Frith est au diapason de l’exigence d’authenticité organique d’Andy Goldsworthy. On retrouve dans l’instrumentation, à base de guitare, de cordes et de clarinettes, ce dialogue fructueux entre pureté électrique, forme d’hommage à la capacité de l’homme à inventer une beauté à la fois artificielle et authentique, et timbres acoustiques, en résonance intime avec la nature.

Ces ponctuations musicales interviennent généralement aux moments où, aux longs et souvent fastidieux préparatifs succède l’instant magique où l’œuvre naît enfin, à la fois des mains de l’artiste et dans le regard du spectateur, prête à être immortalisée par l’appareil. La décision de bannir tout accompagnement musical des séquences où Goldsworthy médite sur son art met d’autant plus en valeur les créations sonores du guitariste, qui semblent ainsi émerger imperceptiblement du silence, offrant un contrepoint intelligent et subtil au rythme imprimé au film par le montage de Thomas Riedelsheimer.

par Aymeric Leroy // Publié le 25 mai 2005
P.-S. :

Le CD de la musique composée par Fred Frith pour Rivers and Tides est sorti sur le label Winter & Winter (distribution française par Harmonia Mundi) en septembre 2003.