Tribune

Roy DeCarava & Langston Hughes

Écriture et photographie.


Artistes africains/américains des champs de l’écriture et de la photographie, ils ont souvent croisé leurs regards et leurs écoutes, avec le jazz comme horizon commun. Quelques repères historiques et éditoriaux.

Je ne sais pas s’il existe en français un mot pour désigner un livre dont la couverture est en même temps la première page, sans qu’on sache d’ailleurs exactement pourquoi c’est ainsi.
Par souci d’économie ? Peut-être, je n’en suis pas sûr.
En tous cas, en 1955 paraît chez Simon & Schuster, aux USA, un petit livre intitulé « The Sweet Flypaper Of Life », cosigné par Langston Hughes pour le texte et Roy DeCarava pour les photographies, qui présente cette caractéristique : la couverture est aussi la page un. De format réduit mais imprimé avec un soin extrême, le livre coûte alors un dollar. Aujourd’hui on ne le trouve que très rarement à moins de cent dollars, et beaucoup plus s’il est signé des auteurs. Dans l’ensemble, les exemplaires restants sont bien conservés, et très frais à l’intérieur.

Le titre est intéressant, ambigu : « The Sweet Flypaper Of Life ». « Flypaper », c’est la papier tue-mouches, celui d’où l’insecte ne décolle plus une fois qu’il s’est posé. Au point d’y mourir à coup sûr. Langston Hughes veut souligner le paradoxe de la vie, à laquelle nous sommes attachés, collés, et en même temps conduits vers la mort. Une douce séduction nous fait adhérer au papier. Peut-être même au papier sur lequel on écrit. Mais en dernier recours, il est aussi notre fin. Pulsion de vie et pulsion de mort attachées. L’affirmation et la négation dans le même mouvement.

Les photos de Roy DeCarava sont prises dans Harlem, à l’époque de la « Harlem Renaissance ». Elles peuvent avoir rapport avec le jazz (portraits de musiciens en train de jouer), mais tel n’est pas son propos premier. Comme pour Hughes, ce qui compte pour le photographe c’est de saisir quelque chose de la vie à Harlem, et d’en rendre compte par une structure d’image qui retienne le regard. Et nous conduise au cœur de la contradiction entre la vie et la souffrance. Les personnages qui surgissent au hasard des pages sont souvent, parmi les habitants de Harlem, des noirs, mais pas uniquement. L’opposition du noir et du blanc est constitutive de la photographie de ces années-là mais on ne doit pas s’y réduire, et surtout y consentir trop. Elle ne prend pas toute la place.