Chronique

Urs Bollhalder Trio

The Portkey

Urs Bollhalder : p ; Raffaele Bossard : cb ; Christoph Müller : dr

Label / Distribution : CamJazz/Harmonia Mundi

Le titre de l’album renvoie à un objet inventé par J.K. Rowling dans les aventures d’Harry Potter [1] et qui, ayant subi un enchantement, permet aux sorciers de se rendre instantanément dans un lieu éloigné. L’intention de ce trio est donc de nous transporter, de faire aussi de ce disque un objet qui nous emmène ailleurs.

Les trois musiciens suisses y parviennent grâce à un jeu collectif à la fois dense et léger. Le swing élégant qui émane des compositions du pianiste trouve un écho dans la justesse des parties improvisées. Urs Bollhalder sait jouer avec l’intensité de son discours et, de sa main droite au toucher délicat, dessiner les contours mélodiques de ses chorus en profitant de l’espace qu’il se crée pour que ses phrases restent suspendues, en attente d’une harmonisation qui viendrait renforcer son propos, puis plaquer de sa main gauche des séries d’accords déclinant toutes les nuances de la couleur qu’il souhaite leur donner (« Song For S »). Ses mouvements harmoniques provoquent de petits décalages qui modifient la réaction affective de l’auditeur et en retiennent donc l’attention. La diversité des émotions ainsi exploitées apporte une intéressante profondeur : tantôt une pincée de nostalgie vient relever un morceau enjoué, tantôt un enchaînement d’accords optimistes donne du souffle à un titre plus introspectif.

Raffaele Bossard et Christoph Müller offrent à Urs Bollhalder l’accompagnement dont sa musique a besoin : la rythmique est souple et précise, tour à tour veloutée ou dynamique, toujours en phase avec le jeu du pianiste. Ainsi ces trois là avancent comme un seul homme et les heures passées à jouer ensemble (le Trio existe depuis 2006) ont visiblement donné naissance à une belle complicité. Les lignes de Bossard épousent les ondulations du piano ou s’en détachent pour mieux les mettre en relief. Sur l’introduction de « Dunkel », elles sont jouées en contrepoint avant de venir peu à peu se lover, de plus en plus épurées, autours des notes du leader, donnant ainsi une jolie consistance à cette mélodie, qui y gagne en épaisseur. Les chorus de « Birds Of Today » ou « Old School » nous rappellent que Raffaele Bossard n’est pas qu’un accompagnateur. Ses phrases, pensées sur plusieurs mesures, l’éloignent de l’approche classique du solo en walking bass et confèrent à ses prises de parole un intérêt en soi. Tout au long de l’album, le scintillement des cymbales cristallines de Müller illumine la musique de ce trio parfois comparé à celui de Brad Mehldau (époque Jorge Rossy). Plus qu’au jeu du pianiste, cela est peut-être dû, justement, à son toucher, à sa ride légère et harmonieuse.

par Olivier Acosta // Publié le 29 juillet 2010

[1En français, le mot est traduit par « Portoloin. »