Chronique

Jean-Marie Machado & Dave Liebman

Eternal Moments

Jean-Marie Machado : p, Dave Liebman : Ss, Fl

Label / Distribution : Bee Jazz

Eternal Moments est la deuxième collaboration du duo Machado/Liebman, qui nous avait déjà gratifiés en 2008 d’un magnifique album consacré au fado, Caminando. Ces retrouvailles s’articulent autour de compositions de l’un et de l’autre, ainsi que d’une interprétation étonnamment moderne du « Réveil de la mariée » de Ravel, d’une reprise de Monk (« Ugly Beauty ») ainsi que d’un fado, « So a noitinha ». Soit une photographie de leur démarche artistique qui nous rappelle d’où ils viennent et nous en apprend sur la direction qu’ils prennent.

On sait Liebman à l’aise dans ce contexte d’échanges intimiste (il suffit pour s’en convaincre de réécouter ses magnifiques conversations avec Marc Copland), mais il semble ici avoir franchi une étape supplémentaire dans la pureté de la sonorité et l’esthétique du discours. Jamais loin du piano, ses volutes aériennes et inspirées tournent élégamment autours du thème et savent s’en éloigner pour mieux le metre en valeur. On citera notamment le titre d’ouverture, « Little Dog Waltz », où la liberté dont il jouit reste encadrée par les exigences de l’écriture. La flûte lui permet en outre de diversifier la couleur de ses interventions, celle-ci étant ici utilisée en introduction de deux titres, « Les yeux de Tangati » et « So a noitinha », cédant ensuite sa place au saxophone. L’énergie n’est pas sacrifiée sur l’autel du lyrisme, comme en atteste la densité de son jeu sur « Le réveil de la mariée ».

Jean-Marie Machado, auteur d’une petite moitié du répertoire, brille autant par son travail d’écriture que par la justesse de son interprétation. Accompagnateur attentif et soliste remarquable, il trouve un équilibre délicat entre envolées lyriques et trame rythmique/harmonique. La finesse de son toucher et la pertinence de son placement servent idéalement cette musique empreinte de poésie. Machado évite l’écueil du remplissage à tout va, et l’économie de moyens lui permet ici de se concentrer sur l’essentiel : l’évocation d’un paysage sonore qui, à l’image de la pochette, est à la fois assez vaste pour laisser de la place au songe (et accessoirement à son partenaire), et suffisamment beau pour se suffire à lui-même. Un espace que Dave Liebman exploite sans nuire à sa profondeur de champ…

La musique d’Eternal Moments, légère, enivre par son évidence, berce l’auditeur jusque dans l’urgence, comme sur « Blue Spice », titre qui n’est pas sans évoquer Monk. La cohérence de l’ensemble force le respect, et la diversité des climats - de la douceur à l’emportement - apporte un relief bienvenu à cette magnifique proposition musicale.