Scènes

Vague de Jazz 2012 (3) : action sociale et musicale

Cette année, le festival Vague de Jazz a mis en place une collaboration nouvelle et particulière avec un centre d’accueil pour handicapés physiques et mentaux.


Vague de Jazz a cette année mis en place une collaboration nouvelle et particulière avec un centre d’accueil pour handicapés physiques et mentaux : il s’agit d’un stage de trois jours animé par des musiciens et clôturé par un concert ouvert aux pensionnaires de plusieurs centres. Cette action à destination des « publics empêchés » est soutenue par la DRAC Pays de la Loire.

Sur le chemin de la plage de Longeville, entre les arbres, se cache la Rose des Vents, maison d’accueil pour personnes gravement handicapées. On passe tous les jours par centaines devant la porte de cette institution sans se douter que derrière vit un monde parallèle, coupé de la vie quotidienne que nous connaissons. C’est à croire qu’il existe autant de langages que d’êtres humains : dès l’arrivée dans la grande salle aménagée pour le concert, on bascule dans une autre réalité. Difficile de plier les pensionnaires à la station assise, tous semblent vivre dans une bulle inaccessible. Un homme suce son pouce et frétille de joie quand on lui dit bonjour ; un autre, coiffé d’un casque, fonce tête baissée vers tout ce qui bouge, aussitôt rattrapé par deux aides-soignant(e)s ; plusieurs arrivent en fauteuil roulant, tout plus ou moins tordus et baveux ; un jeune homme ne cesse de baisser son pantalon et caleçon, au grand dam des encadrant(e)s et sous le regard hilare des invités extérieurs. Aucun n’est autonome, et plus de la moitié ont été abandonnés par leur famille. Certains sont plus en recherche de contact que d’autres, mais c’est souvent d’une manière détournée ou inattendue : au détour d’un sourire, d’un geste, d’un regard. Chacun vibre avec l’autre d’une manière toute personnelle, tout comme chacun reçoit la musique d’une manière qui n’appartient qu’à lui.

Pour les artistes de Vague de Jazz, le pari est de nouer un lien avec ces personnes handicapées — dont aucune n’a l’usage de la parole — grâce à la musique. Le batteur Edward Perraud, le saxophoniste et chanteur Thomas de Pourquery et la chanteuse Alexandra Katridji se sont livrés à l’exercice. Selon cette dernière, le petit format du stage se prêtait davantage à l’exercice que le concert de clôture auquel nous avons assisté. En effet, même si, aux dires des encadrant(e)s, l’assistance était plutôt calme, les cris et les mouvements continus des pensionnaires sont un spectacle à part entière. Impossible de faire abstraction de l’agitation ambiante et d’écouter la musique, malgré tous les efforts du monde — éclatante démonstration de l’évidence : un concert est, doit, être inséparable de son public.

Il me faut un moment pour comprendre que l’intérêt n’est pas la musique en elle-même, mais l’interaction avec les handicapés. Sourires, regards ravis, applaudissements et hurlements intempestifs… Soudain, un jeune trisomique attrape une baguette de batterie : Edward Perraud lui confie un tom et le voilà lancé, lui aussi, dans l’improvisation.

L’expérience réussit à faire coïncider un instant leur bulle mentale avec la nôtre, et, le temps du concert, on est plongé au cœur de l’échange, aussi fugace soit-il. Thomas de Pourquery répond aux cris comme Ella Fitzgerald chantait avec les cigales, Edward Perraud offre un contrepoint au jeu de batterie du jeune trisomique. Bientôt, une jeune femme autiste se lève, difficilement, de son siège, encouragée par plusieurs aides-soignantes, et les mains sur le visage, murmure quelque chose d’inaudible. Finalement, elle ne chantera pas. Trop timide.