Chronique

Various Artists

Portraits in Jazz/New Orleans Memories

Label / Distribution : Cristal Records

Cristal Records sort dans sa collection « Original Sound de Luxe » deux albums inestimables conçus par Claude Carrière. Celui qui nous fit découvrir le jazz sur les ondes avec sa série sur « Tout Duke », feuilleton culte de France Musique à la fin des années 70, et anime toujours, infatigable, avec son complice Jean Delmas, « Jazz club » sur la même radio, continue à nous faire (re)découvrir de précieuses pépites.

Portraits in Jazz est le premier de ces albums qu’honore une sélection impeccable : absolument rien à redire sur le choix et l’enchaînement logique de ces portraits musicaux qui saluent la mémoire du Duke, deCount Basie, Django ou Billy Strayhorn… Les transitions sont subtiles, si heureuses que l’on se laisse guider d’un trait jusqu’à la fin de ces vingt-et-un titres.

Cet hommage aux plus grandes figures du jazz classique réserve aussi quelques surprises, quand Duke Ellington trace un swinguant tableau ayant pour thème l’étourdissant Bill « Bojangles » Robinson, « tapdancer » consacré dans le film Stormy Weather, ou quand Django Reinhardt pour sa composition « Mabel » prend pour modèle la chanteuse Mabel Mercer. Le clin d’œil du double portrait croisé de Duke Ellington et de Willie « The Lion » Smith fera plaisir aux pianistes Stephan Oliva et François Raulin, créateurs du spectacle Echoes of Spring, l’un des plus beaux concerts de l’an passé et que l’on retrouve à présent sur disque (Mélisse/Abeille). Quant à nous, on se réjouit d’écouter à deux reprises le trop méconnu Lucky Thomson, saxophoniste ténor à la sonorité veloutée, exquis dans cette ballade-portrait de « Django » et dans le thème éponyme de John Lewis. On aime aussi retrouver de très grands orchestres comme celui de Stan Kenton, avec cors et tubas sur « Portrait of a Count » (le « comte » dont il s’agit est, cette fois, le trompettiste Conte Candoli !) mais aussi Woody Herman et son « troupeau » de neuf solistes célébrant Stravinsky, sans oublier un des héros de la West Coast, le batteur Shelly Manne « and his men » sur « Sweets », dédié au trompettiste de Basie, le charmeur, le tout doux Harry Edison.

Le final réservé à Charles Mingus, plus sobrement intitulé « Portrait », clôt avec ferveur cet album qui illustre brillamment l’amour que l’on peut vouer au jazz, puisque tous ses musiciens constituent des « passeurs » assurant la continuité en toute cohérence de l’histoire de cette musique. Le meilleur guides de l’album reste l’ensemble de « liner notes » signées Claude Carrière « himself », qui révèle avec précision et clarté la démarche de ces musiciens, qui ont choisi d’honorer autrement qu’avec un pinceau, avec leurs propres instruments, quelques-uns de leurs prédécesseurs et pionniers du musique de jazz. Absolument indispensable , vous l’aurez compris, et pas seulement pour les amateurs !


Seconde réussite, toujours dans la même collection, le « concept album » New Orleans Memories. Toujours aussi soigné dans sa présentation et ses illustrations (signées Christian Cailleaux), la réalisation artistique de cet album historique et en somme pédagogique sur les débuts du jazz est due à Claude Carrière, bien évidemment.
C’est Louis Armstrong qui ouvre la cérémonie avec le chant délicieusement nostalgique « Do You Know What It Means to Miss New Orleans ? », entouré des musiciens chevronnés du style New Orleans justement, le tromboniste Kid Ory (qui joua avec son Creole Jazz Band) ou le clarinettiste Barney Bigard. C’est dans cette ville de tous les excès, la ville du Tramway nommé Désir que naquit le jazz, selon la légende. Billie Holliday, qui accompagnait Armstrong en 1947 dans le film New Orleans chante d’ailleurs ici « Farewell to Storyville », un adieu à ce quartier fermé en 1917 tant il était mal famé. La
Ville des plaisirs, la « Cité du Croissant », la ville où est né le blues - comme le chante Louis -, célèbre son French Quarter, ses rues principales « Canal Street Blues », « Basin Street Blues », « Bourbon Street Parade » et honore de prestigieux musiciens : Louis Armstrong, King Oliver, Jelly Roll Morton.

Cette ville si durement éprouvée méritait bien un tel hommage, qui se termine par le chant funèbre de Congo Square, tiré de la suite « A Drum is a Woman » (Duke Ellington). Et cet album illustre à merveille l’ambiguïté de cette musique « qui trouve ses racines dans l’oppression et la détresse autant que dans la fête. » Indispensable.