Chronique

Vladimir Cosma

40 films - 40 bandes originales

Label / Distribution : Abeille Musique

De nos jours les Français aiment revisiter l’histoire de leur cinéma, et en particulier les musiques qui l’accompagnent. Ce beau coffret sorti chez Larghetto et distribué par Abeille illustre avec élégance un certain cinéma français des années soixante et soixante-dix par les musiques du compositeur d’origine roumaine Vladimir Cosma ; avec 105 inédits, 16 bonus, 17 CDs, on peut parler d’édition définitive : 40 bandes originales en remastering haute définition !

Cosma est un des compositeurs les plus prolixes de sa génération : s’il a étudié avec Nadia Boulanger, il a aussi approché les plus grands jazzmen et composé quelque 200 musiques de films, des comédies essentiellement, très prisées des Français (Le Grand blond avec une chaussure noire, Les Aventures de Rabbi Jacob, Le Dîner de cons, La Chèvre…). Il aime les brassages d’orchestre classique et d’instruments populaires et a su dépasser les contraintes inhérentes au genre, en tirant de ces musiques des « suites symphoniques ». Il a également mené des recherches très poussées sur les timbres ou les instruments solistes inhabituels tels l’ocarina, le taragot, la flûte de Pan [1], le cymbalum. Il en résulte une musique des plus populaires, car son écriture est résolument chantante et le cinéma fut pour lui, comme pour Maurice Jarre ou George Delerue une façon d’éviter certains écueils de la musique contemporaine.

Plusieurs cinéastes sont restés très fidèles à cet « auteur de musiques ». Le cas d’Yves Robert est tout à fait exemplaire : dès 1967, Vladimir Cosma compose la musique originale d’Alexandre le Bienheureux ; puis Robert développe son goût pour Pagnol en lui commandant les musiques de La Gloire de mon père et du Château de ma mère, d’autant que Cosma s’était déjà attaqué à la trilogie de Pagnol pour la télévision [2].

Et le jazz dans tout ça ? A Hollywood dans les années 40, la couleur jazz des films noirs était donnée par des musiciens blancs, en vertu des règles draconiennes des studios ; au début des années 50, les scènes se passant souvent dans des clubs ou la nuit, le jazz devient prépondérant. Mais c’est à la fin de cette décennie que la musique de film acquiert son indépendance, y compris dans le cinéma européen : le jazz apparaît alors comme un élément de la narration et y gagne sa liberté - ce dont profiteront certains metteurs en scène comme Yves Robert ; comme lui, Cosma (qui l’aime autant que la musique classique), donne une couleur jazz à ses partitions en faisant appel aux jazzmen en vogue à l’époque. Eddy Louiss fait un solo d’orgue dans la première musique de film de Cosma, en 1967 (Alexandre le Bienheureux qui, on l’a vue, inaugure une longue collaboration avec Robert, un des metteurs en scène avec qui il prendra le plus grand plaisir à travailler. Sur la B.O de la trilogie Un éléphant, ça trompe énormément, Nous irons tous au paradis, et Le Bal des casse-pieds on entend les saxophonistes Pepper Adams (baryton), Don Byas (ténor), Jean-Louis Chautemps (ténor) et Tony Coe (ténor et clarinette), ainsi que le batteur Sam Woodyard. Pour chaque film, il s’agit d’écrire le thème qui opérera la meilleure synthèse dramatique ou divertissante ente l’histoire et l’instrument le plus adapté. On retruve également dans certains passages tous les ingrédients de la musique de film noir (« Jalousie blues »). Pour Nous irons tous…, le quartet de saxophones est mis en avant, le choix de départ étant d’associer la couleur du sax au quatuor d’amis, par référence aux « Four Brothers » de Woody Herman, tout en rendant hommage à Charlie Parker (thèmes des « Sax Brothers », « Parker par cœur » ; « All My Evening Birds »… ). Dans Un élephant…, ce sera « Paris London » et « Berenice Blues » avec Maurice Vander au piano, Tony Coe à la clarinette, Sam Woodyard à la batterie et la chanteuse Virginia Vee.

Plus tard, Jean-Jacques Beinex réalise avec Diva un premier long métrage à l’esthétique originale, et la BO inoubliable de Cosma contribue au succès de ce film-culte des années 80 : il inclut un arrangement de l’air de « La Wally » (Catalani), chanté par la sculpturale Wilhelmenia Fernandez, mais en bonus, on a le plaisir de découvrir Chet Baker, Maurice Vander, NHP, John Guerin dans « Sentimental Walk ». Cosma a d’ailleurs le chic pour écrire la musique de films qui marquent le box-office ; citons La Boum (Claude Pinoteau) et le tube « Reality » mais aussi Le Père Noël est une ordure (Jean-Marie Poiré), avec sa ligne de basse inaugurale jouée en pizzicato par Marc Johnson et, dans le chœur mixte, des membres des fameux Double Six). Il travaille avec Claude Zidi, Francis Veber (toute la série des films autour du personnage de François Perrin, souvent interprété par Pierre Richard), Gérard Oury, (6 films en 27 ans et la fameuse chorégraphie du groupe Kol Aviv sur Rabbi Jacob [3]). Et il réussit à toucher le grand public avec des séries ou feuilletons télévisés (L’amour en héritage [sic] ou bien, encore plus ancien dans nos mémoires, Les Aventures de Tom Sawyer où il jouait lui même du violon. Mais Cosma ne s’en est pas tenu aux comédies ; il a aussi travaillé sur des sujets très sérieux, voire dramatiques comme La Dérobade de Daniel Duval, ou le terrible Dupont Lajoie d’Yves Boisset.

Vous en saurez donc beaucoup sur un certain cinéma français de ces dernières décennies en compulsant le livret de 150 pages, très complet et assorti d’une belle illustration, rédigé par Lionel Pons : c’est une mine d’informations sur chaque film et il vous emmènera au cœur de la création des musiques. Un travail soigné qui devrait plaire aux cinéphiles comme aux amateurs de jazz. Sans restriction.

par Sophie Chambon // Publié le 27 septembre 2010

[1Gheorge Zamfir sur le fameux thème du Grand Blond….

[2Autre preuve de son grand attachement pour cet auteur, Cosma compose un Marius et Fanny pour l’opéra, représenté pour la première fois à Marseille avecRoberto Alagna et Angela Gheorghiu, en 2007.

[3Le compositeur ne cite aucun thème folklorique connu mais base son approche sur une couleur modale et des timbres propres à recréer un folklore imaginaire, « plus vrai encore que toutes les citations éventuelles ». « Quand je cherche un bon thème folklorique, je l’invente » disait Hector Villa-Lobos.