Chronique

Raymond Boni

Welcome

Raymond Boni, guitare, harmonica

Raymond Boni est un guitariste que l’on aime suivre dans son travail de recherche, d’expérimentation. S’il essaie de se renouveler dans le contexte particulier de la musique improvisée, il le fait avec honnêteté et gourmandise. Il s’est aussi entiché d’harmonica, et ce qui pouvait paraître une lubie de gosse ou de grand enfant est devenu travail et enregistrement. Du sérieux, donc. Le résultat apparaît sur ce solo, publié par le fidèle label indépendant Emouvance à la charte graphique reconnaissable entre toutes, des dessins aux feutres à la police typographique Bodoni.

Le premier morceau, d’ailleurs intitulé « Welcome », est saisissant, éblouissant ; il vous entraîne loin, très loin dans les sphères d’une musique céleste. Pour dire qu’harmonica ne rime pas obligatoirement avec Toots Thielemans ou Albert Raisner (qui se souvient encore de ce musicien, le premier harmoniciste que j’ai vu à la télé de l’ORTF ?) A la guitare, Boni est un dieu - j’entends un « guitar hero » dans la plus belle tradition de Reinhardt (Django) à Hendrix (Jimi), ceux que l’on écoute toute sa vie en se demandant s’il est bien nécessaire de continuer à faire de la musique.
Boni, lui, les connaît sur le bout du manche mais essaie de faire autre chose, tout en restant imprégné, inspiré par leur formidable inventivité. Sur le deuxième titre « Petite rivière », sa gratte semble céleste : on le savait rythmicien hors pair (un de mes premiers chocs fut Two Angels for Cecil, déjà chez Emouvance), il se révèle en mélodiste raffiné ayant intégré toute la tradition de son instrument.
Il s’essaie à chercher et obtenir le son, non pas « beau », il n’aimerait pas ça, mais juste - le plus juste, le plus rigoureusement exact. C’est cette exigence farouche et hautaine qui fait le beau son, tout comme on peut parler de beau geste. C’est ainsi qu’il sonne comme un koto sur le traditionnel irlandais qu’il dédie à Nina Simone ( « Black Is the Colour of My True Love’s Hair ») qui referme l’album.

Boni est un être à part, complexe ; il faut l’écouter sans nécessairement chercher toutes les clés. Ce qu’il nous offre est un récital improvisé ; on entend du flamenco, de la musique gitane, des vrombissements, des échos et éclats de free sur lesquels il doit casser ses cordes, mais aussi de la country music (« How Much For Your Soul ? »), toutes les musiques du monde de ce « Manouche dans New York » qui aime Marseille et la mer.

Welcome… On peut aussi penser au film sobre et dérangeant de Philippe Lioret, mais comme Boni le dit dans le livret à Patrick Williams, son complice sur « Django », son action ne se veut pas politique mais ouverte à l’écoute de ce qui l’entoure. Comme le chant de Coltrane, émouvant, fort et apaisant. Toutes ces valeurs sont portées par la guitare du Toulonnais, qui brosse des fonds larges et espacés, délicatement « manouches », se permet des envolées douces-amères, révoltées ou tendres, bâtissant un monde de réconciliation et de consolation.

par Sophie Chambon // Publié le 16 avril 2012
P.-S. :

L’enregistrement effectué au GMEM marseillais est une grande réussite ; on entend même un cyclomoteur pétarader sur fond de vagues méditerranéennes…