Chronique

Dhafer Youssef

Diwan of Beauty and Odd

Dhafer Youssef (oud, voc), Aaron Parks (p), Ben Williams (cb), Mark Guiliana (d), Ambrose Akinmusire (tp)

Label / Distribution : Okeh Records

Dans la littérature arabe, le diwan est un recueil de poésie. Que Dhafer Youssef nous y invite et qu’il associe celui-ci à la beauté n’en est que plus séduisant. Et on s’y installe d’autant plus volontiers que l’album est exquis.

Ceci tient bien entendu à plusieurs facteurs. Le premier, qui saute aux yeux lorsque, après avoir déchiré la pochette en cellophane, on consulte les informations du livret, est le line-up : Aaron Parks, Ben Williams, Mark Guiliana et Ambrose Akinmusire. D’entretien en entretien, Dhafer Youssef répète inlassablement que le choix des musiciens était très important, révélant par ailleurs qu’il envisageait depuis quinze ans d’enregistrer avec les meilleurs musiciens new-yorkais. Chose faite, et Dhafer Youssef n’hésite pas à parler de « rêve » pour qualifier ce quartet.

L’hommage est réciproque puisque, quand il parle de ce Diwan of Beauty and Odd, Aaron Parks dit avoir utilisé « les oreilles, le corps, le cœur, l’esprit » et avoir appris « le sentiment, comme [s’il] explorai(t) avec l’odorat ou la danse ». La formule vient en écho à celle de Mark Guiliana qui déclare que Dhafer Youssef « a vraiment les sonorités dans le corps. »

C’est donc la notion de beauté qu’il faut questionner. Car du titre, on retiendra, outre « diwan » et « beauty », « odd ». Le mot signifie « étrange » et contient une pointe péjorative. Une espèce de dissonance, pourrait-on dire si ce terme ne renvoyait pas à des considérations de style et des choix d’harmonie. Il n’y a pas de provocation dans son utilisation mais le choix, programmatique, d’associer la beauté à ses contraires. De fait, on est loin d’une esthétique mielleuse. Le titre du troisième morceau, « Delightfully Odd », est à cet égard on ne peut plus explicite et la dédicace à l’architecte irakienne Zaha Hadid en découle directement. Car pour Dhafer Youssef, « elle a réussi cette admirable alchimie qui est de faire de la “laideur” une beauté. »

Mais odd signifie aussi « impair », et se réfère au choix des métriques. Les mauvaises langues diraient qu’il s’agit là de snobisme alors qu’il s’agit d’une posture : les temps impairs « donnent [à Dhafer Youssef] la possibilité de penser la mélodie et la ligne de basse de manière différente » sans pour autant altérer le groove. Un groove qu’il estime central : on appréciera à cet égard les mots de Ben Williams selon lesquels, dans la musique de Dhafer Youssef, « il y a toujours une invitation à danser ».

Ce qui caractérise enfin cet album, c’est son parti-pris mystique. Le mot revient d’ailleurs souvent chez Dhafer Youssef. Ne dit-il pas, dans un entretien donné à Kalakuta (octobre-novembre 2016), s’intéresser « au soufisme comme [il s’]intéresse au jazz quand il est spirituel chez Coltrane et même Miles Davis. » Lorsque nous l’avons sollicité, il écrivait que, s’il vient de la tradition soufie, ce qui l’intéresse « dans le mysticisme aujourd’hui c’est l’esprit, la musique, et non pas la croyance en elle-même » et d’ajouter « mes improvisations et mes compositions naissent d’intuitions sans trop de réflexion, une sorte d’“illumination”, une inspiration qui vient […] de sentiments plutôt que d’un raisonnement laborieux. »

En treize pistes, Diwan Of Beauty And Odd nous emporte. Le mysticisme y contribue bien entendu beaucoup et les titres des morceaux sont souvent significatifs. Que ce soit « Fly Shadow Fly », « Diving in the Air », « 17th Flyways », « Dandling Under A Cerulean Sky » ou encore « Longing & Saltation Journey », tous évoquent l’envol, la transe stratosphérique. Les vocalises, très haut perchées, en constituent un élément fondamental. Qu’il revendique une sensibilité à l’art du Tajwid (la psalmodie du Coran) est également un indicateur fort. Il dit lui-même que « quand [il était] petit, (s)es “rock stars” ont été les récitants du Coran Abdi El Basset Abdasamad ou Mohamed Omran, [et qu’il] les voi(t) aujourd’hui encore comme des “jazzmen”. »