Chronique

Gaël Horellou Organ Trio

Roy

Gaël Horellou (as), Frédéric Nardin (org), Antoine Pagnotti (dms).

Label / Distribution : Le Petit Label

D’un point de vue discographique, l’année 2014 aura été prolifique pour Gaël Horellou. En février, le saxophoniste publiait Legacy, enregistré au Duc des Lombards un an plus tôt, avec Abraham Burton au saxophone ténor et, à leurs côtés, Etienne Déconfin (piano), Viktor Nyberg (contrebasse), Antoine Paganotti (batterie). En novembre, Brooklyn voyait le jour chez Fresh Sound. Ce disque, enregistré en juin 2013, mais cette fois en studio, faisait appel à la même équipe, exception faite de Burton. Deux albums révélant à la fois l’exigence d’Horellou et la brûlure qui semble l’habiter : on est vite irradié par son phrasé fluide et sa vélocité fiévreuse où couve l’esprit des grands, de Coltrane à Pharoah Sanders, entre autres, autant que de Charlie Parker dont il partage l’alto et l’urgence... Loin des expériences du Collectif Mu, de Cosmik Connection, de NHX ou des « Organics » de Laurent De Wilde, Horellou suit un chemin singulier, un peu en marge, mais toujours vibrant.

C’est entre ces deux albums, en septembre 2014, qu’est venu se glisser Roy, enregistré en mai à l’Arrosoir de Chalon-sur-Saône. Roy est l’œuvre d’un trio où l’on retrouve le fidèle Antoine Paganotti à la batterie ainsi que Frédéric Nardin, jeune organiste hyperactif qui a temporairement délaissé Pierre et le Loup et le Jazz [1] et les grandes salles pour se replonger, comme à son habitude, dans des atmosphères plus intimistes. Une formation dont la sonorité a un petit quelque chose d’intemporel aux accents soul qui doit sans doute beaucoup à la forte présence de l’orgue Hammond B3. Nardin sait en révéler toute la chaleur contagieuse, et Paganotti se fait fort de le soutenir par un jeu complice, alliage de force et de souplesse. On est toujours heureux de retrouver à la batterie cet ex-chanteur de Magma, un compagnon de route avec qui il fait bon partager la scène. Aussi entouré, Horellou peut se livrer en toute liberté, affichant une maîtrise totale et soufflant la vie dans chacune de ses notes.

Roy est un hommage aux grands du jazz. Les compositions, signées Gaël Horellou à l’exception de « This Is For Albert » (Wayne Shorter) et « Why Do I Love You » (Jerome Kern), s’adressent directement à eux : « Roy » pour Roy Haynes bien sûr, ou encore « Dexter » pour Dexter Gordon ; et s’il n’est pas nommé, on devine que les accents caribéens d’« Allégresse » s’adressent à Sonny Rollins et son « Saint Thomas ». Au-delà du lyrisme et de la fulgurance qui la traverse de part en part, on n’ose à peine employer le terme d’efficacité pour définir cette musique qui frappe juste et fort, et dont la tension heureuse ne se relâche jamais. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit : cette musique va droit au cœur et on y revient sans cesse.

Roy est sorti sur le Petit Label, avec lequel Gaël Horellou collabore régulièrement : trois disques en trio avec Géraud Portal, Antoine Paganotti ou Philippe Soirat entre 2006 et 2011, puis Travels en 2011. Une maison dont on ne dira jamais à quel point les disques sont aussi des objets soignés, qui se déclinent en quatre séries. Pour Roy, c’est la collection « Kraft » ; avec son élégant cartonnage rustique, elle exprime une vision épicurienne de la musique, celle de l’instant rare qu’il faut capter et vivre pleinement. Et conserver auprès de soi, comme un livre qu’on relira forcément. De fait, le jazz du saxophoniste, en se présentant dans son expression très pure, sans le moindre artifice, comme à vif, est un témoignage vibrant de cette démarche. On soulignera enfin que le Petit Label est implanté à Caen, ville dont le conservatoire compta jadis parmi ses élèves, un certain Gaël Horellou... Preuve que passé et présent peuvent faire bon ménage.

par Denis Desassis // Publié le 26 janvier 2015

[1Frédéric Nardin est pianiste et co-fondateur de l’Amazing Keystone Big Band, qui connaît un réel succès avec sa version jazz de Prokofiev. Le groupe proposera prochainement un nouveau répertoire du même type avec une adaptation du Carnaval des animaux de Saint-Saens.