Chronique

Joëlle Léandre & Serge Teyssot-Gay

Trans 2

Joëlle Léandre (b), Serge Teyssot-Gay (g)

Label / Distribution : Intervalle triton

Quelques années après leur premier tête-à-tête, revoici Serge Teyssot-Gay et Joëlle Léandre sous la bannière de Trans. Ce second disque renoue avec le fructueux champ de labour où se sèment de nombreuses discussions. Entre-temps, chacun a continué de son côté à multiplier les rencontres : on attend notamment avec gourmandise l’enregistrement de la contrebassiste avec le rappeur Mike Ladd ; quant au guitariste, d’Interzone à Zone Libre, le défrichage est devenu son terrain de jeu.

Ici, le temps de l’observation mutuelle est passé, à défaut d’être révolu ; les musiciens découvrent de nouvelles tensions à leur cordes. Dans la chaleur de « Rouge », qui nimbe les premiers temps de l’album, la causticité de l’électricité transperce les ténèbres de l’archet pour y laisser transparaître une lumière étincelante. Elle suppure jusqu’à dissoudre la contrebasse dans son flux. Le duo retrouve immédiatement ses marques et instaure un climat à la fois lourd et déchaîné, sans pour autant transiger sur une unité affirmée et immuable.

Si la couleur est partout dans Trans 2, c’est que les musiciens cherchent à en définir précisément chaque nuance. Quelle est cette Trans qui les anime sur cet enregistrement live au Triton (Les Lilas) ? Transcendance ou transmission ? Comme rien n’est univoque, le préfixe se suffit à lui-même. Ce qui intéresse les deux improvisateurs, à l’image du profond et défricheur « Indigo » c’est la notion de mouvement et de collision entre une guitare lointaine et alcaline et une contrebasse qui aime plus que jamais la démesure. Léandre est omniprésente, joyeuse, turbulente. Les musiciens vont l’un vers l’autre, se recherchent constamment en s’épargnant les disputes. Leur propos est une palette où les teintes se chevauchent. Du mélange, jaillit la musique. Pour la faire vivre, il faut un camaïeu dont chaque degré représente une aventure nouvelle. Sur « Violet  », en toute fin d’album, la lente évolution du spectre mêle enfin les couleurs qui se sont succédé jusque-là, d’abord rougeoyantes, puis d’un bleu profond ; ce transfert, de la flamboyance aux abysses, permet d’instaurer une forme d’apaisement. Il n’oblitère pas une attention de chaque instant dans les pizzicati et laisse présager une perpétuation nécessaire du dialogue.

Il y avait, si l’on restait à la surface des choses, quelque exotisme dans le premier disque de ces esprits libres. Heureusement, le premier Trans démontrait que l’enjeu ne résidait pas dans cette confrontation de l’improvisation et du rock. Les avatars de ces musiques farouches à la grammaire commune mais aux syntaxes opposées s’effacent au profit d’une certaine immédiateté, renforcée ici par la dimension coloriste des titres. Evidemment, Trans 2 contient toujours des télescopages furtifs et des explosions soudaines. Elles s’incarnent dans le réjouissant « Jaune », où les mots hurlés dans l’arène par Léandre revêtent des atours d’énergie punk.

Joëlle Léandre n’en est nullement dépourvue, c’est une évidence qui éclate ici dans sa forme la plus jubilatoire. Ça gratte, ça fouille, ça tonne dans une apocalypse électrique. Mais la confrontation des styles n’est pas le sujet, à peine un à-plat, ou une préparation. Comme la peinture brute, le rendu a bien moins d’importance que la matière qui la compose et qui naît des illusions et des éclats qui ne cessent d’animer le duo. Cette musique est à l’image du couteau qui racle la palette pour donner du relief. Les musiciens sont sur le fil, comme toujours. Cette position en équilibre est celle qui sied le mieux à ces subtils coloristes.