Chronique

Szandai / Lukács / Lévy

Bartók Impressions

Miklós Lukács (cimb), Mátyás Szandai (b), Mathias Lévy (vln)

Label / Distribution : BMC Records

L’attachement des Hongrois à Bartók n’est pas surjoué, il est organique. Ce n’est pas du nationalisme, de la terre-qui-ne-ment-pas ou on ne sait quelle idéologie rance en vogue au pays d’Orbán. C’est simplement le fruit d’une éducation, celle des conservatoires si chers à deux des musiciens de ce trio, Mátyás Szandai à la contrebasse et Miklós Lukács au cymbalum. Si Bartók est partout, c’est parce qu’il a su traduire et rendre universel un folklore, c’est à dire tout à fait l’inverse de l’essentialisation. Avec Bartók Impressions, l’orchestre où s’ajoute le violoniste français Mathias Lévy perpétue d’ailleurs ce travail. Les Hongrois et l’élève de Lockwood se placent immédiatement dans une démarche de revisite, d’appropriation et de perpétuation d’un patrimoine qui a fait de la Hongrie un pays ouvert (« Improvisation on Romanian Folk Dance No. 4 – Horn Dance » où Lukács s’amuse à donner à son instrument un son de piano avant de se cantonner à un rôle foncièrement rythmique). Un carrefour où les peuples nomades, ,de gré ou de force, ont fait pousser les germes d’une certaine universalité.

« Fractional Heritage », une des pièces improvisées de ce disque paru chez BMC, ne dit pas autre chose ; le silence de plomb est soudainement éclairé par le violon qui guide les maillets du cymbalum à travers des mélodies avortées avant de se fixer sur une « Improvisation on Bulgarian Rythms -Mikrokosmos 115 & 150 » où Lévy s’embrase dans une lecture où Szandai et Lukács tiennent le cap. Bien sûr, des pizzicati de la basse aux cordes de l’instrument hongrois cher à Bartók, il y a toutes sortes de chemins qu’aucun ne s’interdit, à l’image du jeu de masques qui caractérise « Reflections on Concerto for Orchestra - 4th Movement », le seul morceau qui ne soit pas strictement tiré des collectages de Bartók.

Matthias Lévy a travaillé avec Peirani, et on ne peut s’empêcher de penser, dans certaines relectures, à ce que l’accordéoniste avait imaginé avec le violoncelliste François Salque. C’est une rêverie, une discussion qui n’a rien de sage et peu même parfois s’avérer joliment iconoclaste, comme cette destructuration soudaine du violon au cœur de l’« Improvisation on Mikrokosmos » sous les vivats du cymbalum. Ces Bartók Impressions sont joyeuses et turbulentes tout en gardant une certaine distance : celle des acquis nécessaires à jouer cette musique, desquels on ne revient jamais totalement et qui se considèrent dans une curieuse alchimie de connexion et de prise d’indépendance. Une liberté sans illusion qui ravira quiconque a des oreilles par sa fluidité et son intelligence.