Chronique

Grencsó Collective Special 5 with Ken Vandermark

Do Not Slam The Door !

István Grencsó ( ts, as, cl, fl), Ken Vandermark (ts, cl), Stevan Kovacs Tickmayer (p), Róbert Benkő (b, left), Ernő Hock (b, right), Szilveszter Miklós (dms)

Label / Distribution : BMC Records

C’était une rencontre programmée. Naturelle. Ken Vandermark ne connaissait pas Istvàn Grencsò avant de jouer dans ce disque avec le Kollektiva. L’orchestre mythique du multianchiste est pour l’occasion réduit à un Special 5 qui ressemble furieusement à une garde rapprochée du Hongrois. Ou plutôt à une amicale des enfants spirituels de György Szabados. Pour encadrer Grencsò, on retrouve les deux contrebasses – une par canal - qui faisaient merveille et endossaient le rôle de boutefeu lors des enregistrements avec Lewis Jordan. Ici, dans « Do Not Slam The Door ! » qui donne son nom à l’album, Ernö Hock à droite et Robert Benkò à gauche encadrent les anches comme on carène un bolide de course, avec aérodynamisme et solidité à toute épreuve, capable d’avaler tous les braquages en évitant les sorties de route… Dans un style différent qui plus est, sec et puissant à droite, sans cesse en rupture à gauche. L’occasion d’entendre la flûte de Grencsò et la clarinette de Vandermark jouer à fleuret moucheté, sans craindre le dérapage, avec une fluidité insolente.

C’est indubitablement un paradoxe d’envisager une programmation presque prophétique des deux soufflants, a fortiori avec une telle formation portée par le rythme, sous l’influence de Stevan Kovacs Tickmayer, incroyable pianiste imprégné de musique écrite occidentale contemporaine (« Only You Can Hear It… »), mais aussi vieux compagnon de route du Kollektiva. Mais Grencsò et Vandermark ont tant en commun ! Il y a bien sûr cette capacité de générer la tension avec rudesse dans des compositions spontanées (« Parallel Phenomenon » qui ouvre le disque, pour en donner le ton), mais aussi cette propension à jouer avec les timbres et laisser beaucoup de place à l’écoute collective (« Hymn for a Birthday », douceur pleine de spleen et de poésie signée Grencsò). Il y a surtout les racines communes, que catalyse Szabados dont l’ombre plane en tout lieu dans le studio : Braxton, Mitchell et tant d’autres figures de Chicago qui ont eu une influence majeure sur le jazz magyar des années 80 ; celui-là même qui avait vu la naissance du Kollektiva.

Sorti sur le label BMC, Do Not Slam The Door ! [1] s’inscrit dans une habitude ancienne de dialogue transatlantique ou paneuropéen à laquelle l’orchestre nous avait accoutumés. Après avoir invité Lewis Jordan et Rudi Mahall, voici un point d’orgue. Il y avait sans doute la barrière de la langue, dans cette rencontre captée en 2017, et pourtant les idiomes sont les mêmes. Lorsque la batterie de Szilveszter Miklòs sépare avec autorité l’échauffourée de Grencsò et Vandermark, on a le sentiment que de nombreux fantômes rôdent autour du quintet étendu et de leur langage véhiculaire, celui d’un free jazz revendiqué et référentiel, cogneur et joyeux. Une musique qui aime avant toute chose avoir les portes et les fenêtres ouvertes. Rien de tel pour assainir l’air et faire circuler les idées et la liberté.