Portrait

Max Johnson aime le chaos

Le contrebassiste américain privilégie une musique qui procure de la joie et provoque la confusion.


Max Johnson @ Aidan Grant

La pandémie de Covid-19 a bouleversé le quotidien de Max Johnson. Au lieu de passer le plus clair de son temps sur la route, il a pu consacrer du temps à composer et à sortir des disques.

Max Johnson est un New-Yorkais pure souche. Il commence à jouer de la basse électrique à l’âge de 13 ans. Il écoute beaucoup de rock, de rock progressif, King Crimson en particulier, et de funk. « La première fois que j’ai été attiré par le jazz acoustique, c’est lorsque j’ai entendu Charles Mingus, explique-t-il. Le chaos me fascinait. Mais sa musique est si émouvante et puissante. Il y a de l’énergie pure et du génie musical ».

Lorsque vient l’heure d’aller à l’université, Johnson intègre la New School à New York pour étudier la basse électrique. Alors qu’il s’intéresse de plus en plus au free jazz et au bluegrass, il envisage de passer à la contrebasse. « Mon professeur me l’a déconseillé en me disant que je ne serais jamais assez bon pour en jouer », avoue-t-il. Il est sur le point de tout abandonner quand il entend Henry Grimes jouer à Vision Fest. « Je suis allé lui demander s’il donnait des leçons, se souvient-il. J’ai ainsi étudié avec lui pendant quelques années. Il me traitait en adulte et me montrait du respect. »

Max Johnson @ Peter Gannushkin

Depuis, Max Johnson mène bien sa barque en poursuivant deux voies parallèles : d’une part le jazz, de l’autre le bluegrass qui l’emmène par monts et par vaux avec le Jeff Austin Band, Molly Tuttle ou le Nefesh Mountain Band. Sa production discographique en souffre, sans parler des déboires avec les maisons de disques. La pandémie lui donne la possibilité de l’étoffer. Il crée son propre label, Unbroken Sounds, et sort trois albums en moins d’un an – des enregistrements qui se sont étalés de 2014 à 2021. Dans le même temps, un quatrième disque paraît chez Fresh Sound Records et un cinquième chez New Focus Recordings.

Sketches (Fresh Sound) présente un trio avec le batteur Billy Mintz et le pianiste / vibraphoniste Karl Berger, disparu le 9 avril dernier. Bien que le contrebassiste n’ait jamais participé aux ateliers proposés par le Creative Music Studio que Berger a fondé en 1971 aux côtés de la chanteuse Ingrid Sertso et du saxophoniste Ornette Coleman, il a joué à une dizaine de reprises avec son Workshop Orchestra. « Il était très facile de jouer avec lui, affirme Johnson. Il possédait une science de l’écoute, toujours au fait de ce qui se passait autour de lui. Il m’a appris à jouer moins et à écouter davantage, à ralentir. » Un autre enregistrement semble être perdu à jamais, avec cette fois-ci Tani Tabbal à la place de Mintz.

L’idée de ralentir est au cœur de Hermit Music (Unbroken Sounds) où Johnson est seul avec sa contrebasse. « L’exercice ne vise pas à tout dire tout de suite et ne plus rien avoir à ajouter au bout de dix minutes », explique le contrebassiste. « Il faut ne pas aller trop vite et travailler de telle sorte qu’une idée en amène une autre. » Il reconnaît que la difficulté principale est d’éviter de se répéter. Enfin, le jeu en solo lui a fait prendre conscience qu’il avait besoin d’un vocabulaire plus étendu et que la seule manière d’y parvenir était de faire de nouvelles rencontres musicales.

Max Johnson @ Peter Gannushkin

Jouer avec un nouveau groupe : c’est exactement ce qu’il fait sur Orbit of Sound (Unbroken Sounds), enregistré avec la saxophoniste / flûtiste Anna Webber et le batteur Michael Sarin, deux musiciens qui n’avaient jamais joué ensemble auparavant. « Je veux m’entourer de musiciens qui m’inspirent et qui m’intriguent », avoue-t-il. Au départ, il pense écrire des pièces difficiles car il a confiance en leurs capacités. Mais en raison d’un manque de temps, cela s’avère impossible. Les premiers concerts sont ainsi totalement improvisés. Puis lui vient l’idée de tableaux dont le cadre serait écrit, mais la peinture improvisée.

Avec When The Streets Were Quiet (New Focus), le contrebassiste s’attaque à un nouveau genre musical : la musique de chambre. Le titre ne renvoie pas au confinement mais au roman Le Procès de Kafka, dans lequel le personnage principal perd le contrôle de sa vie, à l’image de la situation créée par la pandémie de Covid. « J’ai commencé à écouter du Schönberg il y une dizaine d’années, dit-il. C’était magnifique mais je n’y pigeais rien. Je voulais absolument comprendre ce qui se passait. » Max Johnson est en vérité un étudiant invétéré. Avec déjà deux masters dans sa besace, il prépare actuellement un doctorat en composition à l’Université de Pennsylvanie. Il a composé les morceaux figurant sur When The Streets Were Quiet en mai 2020 en plein confinement. Un sentiment de désespoir les habite. La formation utilisée est un quintette pour clarinette, piano et cordes. La musique a été écrite pour la clarinettiste Lucy Hatem. « Comme Ellington, je n’écris pas pour une instrumentation précise, mais pour des êtres humains », déclare-t-il. Et ce n’est qu’un début. Dans les mois à venir, il a du pain sur la planche : des morceaux pour flûte et voix (soprano), une pièce pour orchestre et une composition pour quatre ou dix flûtes.