Chronique

Olivier Py

Birds Of Paradise

Olivier Py (ss, ts, comp), Jean-Philippe Morel (b), Franck Vaillant (dms).

Label / Distribution : Vents d est

« Il y a des bruits merveilleux dans la nature. Les oiseaux ont tout inventé. Ils ont inventé le chromatisme et le diatonisme, les quarts de tons. Ils ont même inventé l’improvisation collective… » Olivier Messiaen, outre son œuvre de compositeur, est aussi connu pour avoir entrepris un fabuleux travail de relevés et de transcriptions de chants d’oiseaux dans son Traité de rythme, de couleur et d’ornithologie devenu une référence, y compris auprès des ornithologues.

Olivier Py [1], de son côté, a écrit la musique de Birds Of Paradise d’après ces relevés, sans qu’il soit pour autant question d’une inspiration messiaennique. Mais dans un cas comme dans l’autre, il est question de multiplicité des couleurs, d’attention portée au chant et à toutes ses inventions mélodiques et rythmiques.

En optant pour la formule saxophone, contrebasse, batterie, Olivier Py choisit une combinaison rugueuse avec laquelle il n’est pas question de chercher des points d’appui harmoniques du côté d’un piano ou d’une guitare. Une association a priori aride, mais propice à une expression rendue nerveuse par une certaine nudité imposée aux musiciens. Pas moyen de se cacher ni de tricher, ça passe ou ça casse. En l’occurrence, qu’on se rassure, ce Birds Of Paradise publié chez Vents d’Est constitue une belle réussite qu’il convient de saluer.

Olivier Py, diplômé d’HEC, aurait pu briller dans un domaine situé aux antipodes de la musique. Fort heureusement pour nous tous, il s’est au contraire affirmé comme un artiste de la confrontation des influences, un alchimiste des genres. Sa biographie en témoigne, ses nombreuses collaborations aussi qui sont autant de jalons posés sur ses chemins de traverses. Et quand il crée Birds Of Paradise en 2012, on sait qu’il tient un trio de choc : Franck Vaillant à la batterie est lui-même un baroudeur inventif dont Citizen Jazz a notamment salué Thisisatrio à l’automne dernier : « un disque fouineur, une confrontation incessante qui jamais ne s’opère dans l’opposition de trois personnalités en action ». Avec Jean-Philippe Morel, l’équilibre est trouvé puisque le puissant contrebassiste a toujours refusé les étiquettes pour rechercher l’inouï [2], allant jusqu’à créer son propre label, madRecordz, pour se donner les moyens d’assouvir ses passions. Birds Of Paradise se présente donc comme l’aire de jeu de trois quadragénaires créatifs, une alliance au service de laquelle on soulignera la présence d’un orfèvre de la captation et de la restitution, Philippe Teissier du Cros, chargé de la prise de son et du mixage.

Tout au long de l’album, l’invention est au rendez-vous, servie par une interprétation habitée et virtuose, mais sans démonstration, de composition en composition, dans un cheminement à la fois imprévisible et harmonieux. Cette musique est celle des variations incessantes, des réponses spontanées d’un musicien à l’autre, des permutations constantes et ludiques des rôles. Il y a toujours un chant au cœur du paysage, un musicien conteur prêt à inventer, à surprendre ses camarades et les entraîner dans sa quête, à leur indiquer de nouvelles directions à suivre. On ne pense plus « saxophone », « contrebasse » ou « batterie » car cette musique est un tout, au cœur du jazz et de sa liberté, dans son acception la plus contemporaine. Et si toutes les compositions sont signées Olivier Py, leur appropriation par le trio est totale, la notion de leader n’ayant alors plus guère de sens : Birds Of Paradise est à écouter comme une suite ininterrompue où sont dessinées de nombreuses nuances (« My Light Blue », « Mr Tiny Gray » et ses richesses déployées en trois mouvements, ou ce « Miss Bown Fudge » aux inclinations monkiennes) mais aussi des gazouillis (« Little Warble », tout en suspension). Et lorsqu’il troque son ténor pour un soprano, le doute n’est plus permis, Olivier Py est lui-même devenu oiseau (« Little Red Light »).

Liberté, mélodie, rythme, profusion, invention, dans toute leur exigence mais aussi dans la joie de la création… Birds Of Paradise est un disque enchanteur, dont les beautés se dévoilent à mesure qu’on suit l’envol de ces drôles d’oiseaux.

par Denis Desassis // Publié le 3 mars 2014
P.-S. :
  • Notre Minidoc vidéo réalisé à D’Jazz Nevers Festival en 2012
  • Des extraits du concert en vidéo, également à Nevers en 2012.
  • Le reportage photo du concert au Reims Jazz Festival 2013
  • Le concert de 2014 à Radio France disponible sur le site de l’émission.

[1À ne pas confondre avec son homonyme dramaturge et metteur en scène, qu’on peut voir actuellement au théâtre avec son spectacle Miss Knife.

[2Cf le grand et furieux ensemble United Colors Of Sodom, ou encore au sein de Print (où l’on retrouve… Franck Vaillant), de Mop, ou du sextet Knock (où évoluait un certain… Olivier Py).