Chronique

Rocking Chair

1:1

Airelle Besson (tp, theremin), Sylvain Rifflet (ts, cl, métallophone, elec), J. Omé (g, ukulele), Guido Zorn (b, elec), N. Larmignat (dr, elec), G. Olivesi (elec), C. Tardieu (structures Baschet)

Label / Distribution : Enja Records

Dès les premières secondes de 1:1, le nouvel album de Rocking Chair, une voix espagnole, profonde et torturée par des avanies électroniques nous invite à profiter d’un spectacle qui, en soi, a déjà commencé ; le travail de l’impeccable trompettiste Airelle Besson et de son comparse Sylvain Rifflet, qui signent à eux deux la plupart des morceaux est très recherché, riche et plein de surprises. L’alliance de ces deux jeunes musiciens, qui avait tant séduit à la sortie du premier album renoue avec la même synergie entre le timbre clair et direct de la trompettiste et le son sablonneux de Rifflet (sur « Anne », notamment) pour donner une réjouissante réussite.

A mesure que l’on avance dans l’album, les trouvailles de production comme la cohésion du sextet forment une masse sonore à la fois dense et subtile sur laquelle les solistes sculptent avec enthousiasme un propos qui aime s’attacher à tous les détails et fonde sa musique dans la finesse de l’ouvrage. Aucun parti-pris n’est superfétatoire. Tous, du plus discret écho aux traitements sonores abstraits de Gilles Olivesi [1], servent un propos, une couleur, une ambiance ou une dynamique formant un ensemble homogène, jusque dans ses ruptures. L’utilisation de ces effets comme d’instruments inusités (les structures Baschet [2] de l’invitée Cathy Tardieu par exemple) construisent une image sonore inédite qui ne tombe jamais dans l’anecdotique, d’autant qu’elle est soutenue par la solidité à toute épreuve de la paire rythmique Nicolas Larmignat/Guido Zorn. Il convient notamment de saluer le jeu de pédales et de distorsion du guitariste Julien Omé. Le remplaçant de Pierre Durand au sein du groupe acidifie en profondeur des morceaux comme « Blanc sur Blanc » ou « Estudio, Trabajo y Fusil » qui jouent beaucoup sur l’opposition entre la masse d’où s’échappent les soufflants et la virulence de la guitare. Parfois, des instants suspendus font souffler une atmosphère poétique dans ces ruptures très travaillées, comme ce solo de Rifflet sur le très beau « Princesse K. », qui brise par une danse gracile la puissance électrique ambiante. La qualité d’écriture de ces neuf morceaux ainsi que l’apparente simplicité des thèmes permettent d’apprécier ces ritournelles qui pérégrinent en flottaison au dessus d’une trame roborative, notamment le tango martelé de « Gardel à Pariti », qui clôt l’album avec beaucoup de charme.

Airelle Besson ou Sylvain Rifflet font partie, à l’instar de formations comme Quinte & Sens ou Caroline (on perçoit ça et là l’influence de Sarah Murcia dans l’écriture), de ces jeunes artistes très à l’aise dans une musique qui ne se fixe aucune limite stylistique mais s’offre le luxe de piocher où bon leur semble, sans se soucier de singer tel ou tel ni de jouer la grande réconciliation du jazz, de l’électro ou du rock. Ils expriment en liberté une fraîcheur et une cohérence qui participe de cette régénérescence du jazz français qui fait passer l’émotion et le son avant les dogmatismes. On respire.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 décembre 2010

[1L’ingénieur du son est membre à part entière du groupe.

[2Structures de cristal dont l’effleurement provoque la vibration d’un axe métallique, très utilisées dans la musique concrète.