Scènes

Rudresh Mahanthappa revient à ses premières amours

Le 4 février, le saxophoniste alto choisit l’Orchestra Hall de Chicago pour fêter la sortie de son nouvel EP.


Rudresh Mahanthappa @ Todd Rosenberg Photography

Pour sa première virée en dehors de la région métropolitaine de New York depuis le début de la pandémie, Rudresh Mahanthappa présente son Hero Trio avec François Moutin à la contrebasse et Rudy Royston à la batterie. Ce premier concert en dehors de New York en presque deux ans a force de symbole. Durant les années 90, le saxophoniste s’installe à Chicago, qui lui servira de tremplin, avant de partir pour New York où sa carrière prendra vraiment son envol.

À l’image d’un autre saxophoniste alto, Darius Jones, mais dans un registre différent, Rudresh Mahanthappa a ces derniers temps décidé de laisser ses compositions de côté pour rendre hommage à ses musiciens préférés ou à des morceaux qui ont constitué des jalons de son développement et de son apprentissage musical.

L’entame du concert voit le trio explorer « Red Cross » de Charlie Parker, la première composition de Bird que Mahanthappa ait jamais entendue. Le saxophoniste se lance seul avec une belle détermination avant d’être rejoint par ses partenaires qui participent à une approche moderne et protéiforme qui ne tourne pas le dos à la tradition. Les solos successifs de François Moutin et Rudy Royston opposent la fougue ébouriffante du premier à la patiente maîtrise du second. En outre, nos deux compères savent sortir des sentiers battus afin d’aider le leader dans sa volonté de déconstruction, ou s’associer pour relancer la machine.

François Moutin, Rudresh Mahanthappa et Rudy Royston @ Todd Rosenberg Photography

Il a fallu du temps pour que Mahanthappa se plonge dans l’héritage culturel de ses parents, et aujourd’hui il ne peut s’empêcher de donner des inflexions indiennes à un standard tel que « I Can’t Get Started ». Les phrases sinueuses du saxophoniste reposent sur une trame de fond austère et même minimaliste. Cela ne l’empêche pas de laisser libre cours à ses émotions proches de la complainte.

Outre ces deux compositions tirées du premier album éponyme, Mahanthappa choisit de mettre en avant son nouvel EP, Animal Crossing (Whirlwind Recordings), paru le jour du concert. « Animal Crossing » est le thème d’un jeu vidéo apprécié de ses deux jeunes enfants. La musique tend un peu trop vers l’édulcoré, mais les changements fréquents de tempo retiennent l’attention. Moutin se distingue une nouvelle fois avec un solo enlevé – mais dans son élan, il ne perd jamais le fil de la mélodie.

Le trio rend également hommage à Pat Metheny avec une version de « Missouri Uncompromised », tiré de Bright Size Life (ECM), qui fait référence à l’État natal du guitariste qui avait été admis dans l’Union en tant qu’État esclavagiste grâce au Compromis du Missouri. Le groupe s’approprie la mélodie enjouée avec une belle ferveur et ne fait en rien regretter la version originale.

Pour conclure, le saxophoniste se fait plaisir avec un morceau apparemment incongru, le tube « Faith » de la star de la pop anglaise des années 80 George Michael. Le saxophoniste démarre à fond de train avant de se forger un chemin vers la mélodie facilement reconnaissable. Malheureusement, le groupe se montre moins aventureux que précédemment et ne s’emploie pas suffisamment à déconstruire, le manque de substance de l’original pouvant être pointé du doigt.