Tribune

La Jazz Hotte 2023

Immarcescible sélection de cadeaux indispensables pour Noël


Comme tous les ans, Citizen Jazz vient au secours des acheteurs de cadeaux en panne d’inspiration. Le destinataire aime la musique ? Keep calm and follow the line. Voici, cette année encore, quelques pistes pour des cadeaux sûrs qui, venant d’être publiés, ne risquent pas d’être en double.

La tendance reste la même, à l’approche de la fin d’année, de nombreux petits trésors du jazz sortent tous neufs des archives. Inédits, remasterisés, augmentés, réédités… les enregistrements historiques restent une matière première renouvelable.

Pour finir l’année 2023, quelques belles pièces qui, en plus de ravir les collectionneur·euse·s feront de beaux cadeaux à celleux qui aiment le jazz, comme disait Frank. Les stars de l’année sont : Art Blakey, Charles Mingus, Les McCann, Wes Montgomery, Nina Simone, Otis Redding.
Bien entendu, vous trouverez toute l’année - sur la page Chroniques - nos avis éclairés pour choisir des disques actuels, la Jazz Hotte est là pour aider à choisir les cadeaux de Noël.
Quatre coffrets pour quatre concerts.


Hot House : The Complete Jazz at Massey Hall Recordings (Craft Recordings)

Le plus mythique concerne la performance du 15 mai 1953, au Massey Hall de Toronto, par une bande de musiciens tous légendaires aujourd’hui et qui reste l’un des concerts qui ont fait couler le plus d’encre. Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Charles Mingus et Max Roach sur la scène de ce tout jeune festival (la salle est plus qu’à moitié vide) vont, sans le savoir, donner le seul et unique concert de cette formation éphémère. Oui, c’est à cette occasion que Charlie Parker, encore à la recherche de stupéfiants, et ayant mis son sax en gage pour se payer sa dose, n’a pas eu d’autre choix que de jouer sur un sax alto en plastique blanc, un modèle qu’on donne aux élèves débutants. Oui, ce sont bien les bandes du concert enregistré que Charles Mingus a emporté, tout colère, pour réenregistrer sa partie de contrebasse en studio car il était mécontent de la prise de son. Oui, c’est aussi la dernière fois que Dizzy Gillespie et Charlie Parker joue ensemble. Pour ces raisons, et plein d’autres, ce concert est un monument historique. La réédition ici (en CD et LP) propose les deux versions, avec et sans l’overdub de contrebasse furieux de Mingus). Le son a été remasterisé à partir des bandes originales et le coffret présente textes et photos inédites.

Art Blakey & The Jazz Messengers : Live in Paris, 13 mai 1961 (Frémeaux et associés)

Ce coffret de 3 CD présente l’intégralité de la soirée à l’Olympia de Paris ce 13 mai 1961. Une époque où l’Olympia recevait à guichets fermés les plus grands noms du jazz. Ce concert avait fait l’objet d’un CD en 1993, dans la série « En concert avec Europe 1 » sous l’égide de duo Daniel Filipacchi, Frank Tenot (cité plus haut). Le disque ne comportait que la moitié des titres joués, à l’époque les groupes donnaient deux performances, l’une à 18h, l’autre à minuit. Ce sont ici, et dans l’ordre, les deux performances à la suite.
Des Jazz Messengers d’Art Blakey on connaît le rôle et l’histoire dans le jazz : une sorte de pépinière de jeunes talents que le batteur sait trouver et une flamme, celle du hard-bop, maintenue incandescente. La cuvée de 1961, sûrement la meilleure, au moins ma préférée, réunit autour d’Art Blakey (batterie), Jymie Merritt (contrebasse) et Bobby Timmons (piano) deux fantastiques : Wayne Shorter au saxophone et Lee Morgan à la trompette.
Ce rutilant attelage va enchaîner les tubes du groupe : « Round Midnight », « Night in Tunisia », « Moanin’ », « Blues March » et tous les standards qui leur permettent de jouer ce jazz si particulier, si chaud.

Les MCann : Never a Dull Moment ! Live from Coeast to Coast, 1966-67 (Resonance Records)

Si la carrière de Les McCann s’est plutôt tournée vers la soul, le chant et la production de disque – notamment pour Atlantic avec son ami Joel Dorn, il n’en reste pas moins un bon pianiste, inspiré et au groove évident. La fin des années 60 marque un tournant esthétique dans son parcours qu’il n’a pas encore pris sur ces 3 CD qui présentent deux concerts enregistrés en 1966 à Seattle et 1967 à New York.
Deux performances sur scène, l’endroit où l’interprète définitif de « Compared to What » se sent le mieux. En trio piano-basse-batterie, il enchaîne les standards et bon nombre de ses compositions. Ces bandes inédites ont été retrouvées récemment et masterisées avec le regard critique de Les McCann lui-même, garant de leur qualité tant musicale que technique. Le coffret est accompagné d’un livret de 30 pages riche en informations sur ces concerts.

Wes Montgomery-Wynton Kelly trio : Maximum Swing, the Unissued 1965 Half Note Recordings. (Resonance Records)

Un double album historique, là encore, puisqu’il s’agit du résultat d’un gros travail d’ingénieur du son (Matthew Lutthans) pour sauver et restaurer des enregistrements récoltés à droite, à gauche. Enregistrements radio, pirates, échangés sur internet ou sous le manteau, les formats et les qualités n’offraient rien de bon au départ. Mais la technique permet de restaurer même les plus mauvaises bandes. C’est le cas ici. On entend bien que la prise d’origine n’est pas idéale, mais on a l’impression d’être assis·e dans un coin du Half Note, à Soho (NYC). Cette série de concerts (le trio Montgomery-Kelly-Cobb était programmé entre septembre et novembre 1965) a fait l’objet d’un enregistrement officiel, sorti chez Verve dès 1965 : Smokin’ at The Half Note. Ce disque est une référence pour les amateur·rice·s de guitare jazz et Wes Montgomery le meilleur ambassadeur. On retrouve ici cette énergie et cette inventivité dans le discours à la guitare, aussi précis et détaché qu’une trompette. Wynton Kelly au piano, bien qu’un peu lointain, est très à l’aise justement. Le détail étonnant de ces enregistrements décousus c’est que les bassistes changent en fonction des extraits. Paul Chambers, Ron Carter, Larry Ridley, Herman Wright vont se partager les 17 pistes de ces deux disques.

Quelques livres aussi…

Franck Bergerot : La grande histoire du jazz (Larousse)

Grand livre et petite encyclopédie, voici la nouvelle édition d’un ouvrage grand public, facile d’accès et bien documenté. Toute l’histoire de ces musiques est racontée dans l’ordre chronologique, par décennies. En bas des chapitres, une sélection de disques à écouter. Les grands personnages ou les éléments musicologiques, historiques font l’objet d’encarts spécifiques. L’iconographie est abondante et pertinente. Voilà l’objet parfait pour commencer à découvrir un peu plus de cette histoire si riche. Cette grande histoire s’adresse vraiment à celleux qui disent toujours : le jazz, il faut s’y connaître. Problème réglé !

Nina Simone racontée par Valérie Rouzeau et Florent Chopin. (Supersoniques/Philharmonie de Paris)

La collection Supersoniques présente son 9e ouvrage consacré à un·e musicien·ne sur le même principe : un·e illustrateur·rice et un·e auteur·rice en tandem pour une histoire graphique qui tient moins de la biographie que de la performance.
Ici, les textes de Valérie Rouzeau présente une biographie de la pianiste, émaillée de quelques extraits de ses chansons tandis que les tableaux de Florent Chopin viennent ponctuer les chapitres de sa vie. Le travail graphique de ces toiles évoque largement des partitions de musique, soit en notation graphique moderne soit en filigrane, par quelques portées. L’ouvrage se lite vite, comme toute la collection, facile d’accès et bien documenté.

Otis Redding : La soul dans la peau (Petit à petit)

La collection Petit à petit s’enrichit d’un nouvel album de BD. Spécialisée plutôt dans le rock, elle intègre cette fois un géant de la soul, le fulgurant Otis Redding. Sur le principe fondateur de la collection, une personne assure les scénarios (ici Tony Lourenco) des chapitres qui sont dessinés par autant de dessinateur·rice·s différent·e·s, ici 12. Enfin, pour garantir l’exactitude des informations et un regard d’expert, une personne se charge de la partie documentaire. Le très bon choix s’est porté sur Frédéric Adrian, spécialiste de ces musiques noires et auteur de biographies autorisées (Ray Charles, Marvin Gaye, Otis Redding, Nina Simone, Ma Rainey…). C’est donc un chemin de croix balisé par douze stations graphiquement différentes et des interludes documentaires présentant des documents d’époque. Otis Redding, à la trajectoire étonnante, prend toutes sortes de visages. Longtemps considéré comme petit chanteur local sans intérêt, c’est au moment où sa carrière décolle vraiment que son avion, lui, s’écrase. Il meurt dans sa 27e année et entre dans la légende.