Chronique

Tony Allen

The Source

Yann Jankielewicz (ss), Rémi Sciuto (as, bs, fl), Jean-Jacques Elangué (ts), Nicolas Giraud (tp, fgh), Daniel Zimmerman (tb, tuba), Indy Dibongue (g), Jean Phi Dary (p, organ), Mathias Allamane (b), Tony Allen (dms)

Label / Distribution : Blue Note

Inhabituelle trajectoire que celle de Tony Allen, ce batteur emblématique de l’Afrobeat qui partagea onze années durant la vie et l’œuvre de Fela Anikulapo Kuti, contribuant à ses côtés à créer de toutes pièces un style musical aux codes bien définis, pour ensuite quitter le giron du maître et papillonner avec des musiciens de tous horizons, de Damon Albarn à Rockin’Squat en passant par Jean-Louis Aubert, Sébastien Tellier, Charlotte Gainsbourg ou les frères Belmondo. Il faut croire que le monsieur aura su jouir de sa liberté.

En dépit cependant de ces collaborations tous azimuts, le batteur a, pour ce qui est de sa propre discographie, suivi un chemin relativement balisé en continuant de creuser son sillon tout en saupoudrant son afrobeat d’influences pop ou funk, souvent liées à ses fréquentations du moment. Sous-jacent, le jazz n’a jamais été une composante majeure des ses albums, jusqu’à ce qu’il mette les pieds dans le plat en 2017 avec un EP Tribute to Art Blakey and the Jazz Messengers, remarquable et remarqué premier essai chez Blue Note. Il s’était pour l’occasion entouré de musiciens de jazz français, équipe reconduite pour The Source, où se mélangent pour la première fois avec autant de réussite le jazz et l’afrobeat.

Le succès de cette entreprise tient en premier lieu à l’efficacité du socle rythmique. Tony Allen y joue magnifiquement, et il est accompagné de musiciens qui font habilement le lien entre les deux idiomes. Mathias Allamane a ici une posture bien différente de celle qu’il avait sur l’hommage à Art Blakey. Le voici chargé de lignes obsédantes, répétitives, qui souvent s’ancrent dans la tête de l’auditeur et constituent l’identité profonde des compositions. Il s’en acquitte sans oublier de faire chanter sa basse, en glissant simplement parfois dans ses lignes quelques notes traînantes, quelques décrochés comme dans la partie centrale de « Cruising » où il est mis à l’honneur. Au piano ou à l’orgue, Jean Phi Dary met sans cesse la musique en perspective à la manière d’un pianiste de bop, avec de belles successions d’accords. Autre garant d’un groove de tous les instants, le guitariste Indy Dibongue est confondant d’efficacité dans la mise en place de ses rythmiques qui empruntent également à la soul de James Brown, ou dans ses phrasés serpentins qui se lovent entre les autres instruments comme sur « Wolf Eats Wolf ».

A cette pulsation efficace et raffinée s’ajoutent les thèmes et les riffs joués par l’imposante section d’instruments à vent. L’écriture de Tony Allen se révèle pointue, ambitieuse, puisque les arrangements (auxquels participe le saxophoniste Yann Jankielewicz) redéfinissent à chaque morceau la couleur de l’ensemble, tantôt porté sur les cuivres, tantôt sur les bois, parfois irisée par l’utilisation de la flûte et d’une trompette à sourdine, parfois granuleuse quand les gros saxophones sont mis en avant. A cette richesse de timbres s’ajoute une mise en place très précise de cellules mélodiques qui s’imbriquent parfois.

Tony Allen a souhaité capitaliser sur les talents de solistes des membres de son orchestre, et chaque titre est une occasion de mettre en avant un musicien. Tous ont leur temps de parole, jusqu’au morceau « Push and Pull », où les instruments à vent se disputent l’espace dans une euphorie qui rappelle les fanfares de la Nouvelle Orléans.