Portrait

Toultoutim, destination inconnue

A l’occasion de ses vingt ans, portrait du quartet toulousain Toultoutim.


Alain Angeli © Gilles Gaujarengues

Un des groupes les plus anciens de la scène toulousaine, c’est ainsi qu’on pourrait décrire de prime abord Toultoutim. On n’aurait raison qu’en partie : si effectivement la naissance de ce groupe date du tournant des années 2000, la formation a connu une longue période de creux et, surtout, des modifications qui ont transformé son identité musicale.

Tout commence, comme dans très nombreux cas, par une jam. Fraîchement débarqué de la région stéphanoise et lyonnaise et de sa scène foisonnante, le saxophoniste Alain Angeli recrute lors d’un bœuf au Galway Bay, un club toulousain maintenant disparu, l’organiste Xavier Faro et le batteur Toma Gouband. Dès le départ, Faro est fortement sollicité pour les basses, tandis que Gouband opère déjà un virage vers l’expérimentation sonore. La formule ne détonne pas car Angeli, qui venait du hard bop, avait envie de faire autre chose et, pour le coup, entre l’orgue qui tenait la baraque et le percussionniste au jeu bien barré, il trouve tout naturellement sa place. D’ailleurs, arrivant à Toulouse, s’il n’avait entendu parler que de Christian Tonton Salut, c’est Monkomarok et le quartet de Didier Labbé qu’il repère. Une émancipation stylistique ou on ne s’y connaît pas ! Et ce n’est sans doute pas un hasard si le tubiste Laurent Guitton intégrera la formation une dizaine d’années plus tard, la faisant passer d’un trio à un quartet. L’arrivée du tubiste est d’ailleurs loin d’être anodine et quand on les interroge, ces quatre-là se marrent en disant que c’est Guitton, en fait, le chef du quartet. Car, outre le fait qu’il est dans le quartet de Didier Labbé avec Alain Laspeyres, c’est par son biais qu’Alain Angeli a intégré Nomade d’Etienne Lecomte. Bref, finalement c’est lui qui, mine de rien, tirerait les ficelles, rigolent-ils en chœur.

Laurent Guitton © Gilles Gaujarengues

Entre-temps, pas mal de choses se sont passées dont le départ de Toma Gouband pour les Pays-Bas puis la région nantaise et une carrière dédiée à l’expérimentation et la recherche sonores. Son remplacement en 2004 par Alain Laspeyres, fraîchement revenu de Paris, a donc donné une autre direction au groupe, au point d’ailleurs qu’on peut difficilement parler de remplacement. Car l’arrivée de ce nouveau batteur est également un changement paradigmatique. Laspeyres amène un jeu indubitablement plus classique mais aussi plus de groove et de proximité avec le public, ce qui correspond également à une aspiration d’Alain Angeli : « Pour moi, le plaisir des gens est primordial. Si le public tape du pied, alors c’est gagné ». C’est lors d’un bœuf au Mandala que Laspeyres rejoint le quartet.

Mais les changements viennent aussi du leader car si, au début du groupe, Alain Angeli était aux sax ténor et au baryton, il passe par la suite à l’alto de manière quasi exclusive tandis que Xavier Faro troque l’orgue pour le piano, acoustique le plus souvent et électrique quelquefois. Bref, toute une série de chamboulements orchestraux et stylistiques parsème la vie du groupe, au point d’ailleurs que l’intitulé du groupe a peut-être moins de pertinence maintenant. Quoique.

Depuis les deux derniers albums, A l’est et Destination inconnue en 2017 et 2020, l’esthétique s’est stabilisée autour d’un quartet de jazz plus assagi qui revendique le voyage comme fondement de sa musique. « Au Nord », « A l’Est », « Soweto » en hommage à Abdullah Ibrahim, en témoignent. Il faut dire que ces musiciens ont été marqués par les publications du Label Bleu et la palanquée d’albums que la maison amiénoise a édités dans les années 1990. A ce propos, Henri Texier est un nom qui revient régulièrement lorsqu’on pose la question des influences. On ne fera pas la comparaison mais chacun reconnait à Angeli une capacité à créer de belles mélodies, de celles qu’on siffle une fois qu’on les a entendues, et la patte du célèbre contrebassiste y est très certainement pour quelque chose.

Alain Angeli © Gilles Gaujarengues

Toultoutim est certes loin d’être le seul groupe à revendiquer des odyssées géographiques, mais elles sont essentielles. Et à celles et ceux qui hausseraient les épaules, on renverrait à Ougarit, le dernier projet qu’Alain Angeli mène avec le bassiste Cyrille Marche. L’idée est de travailler les musiques antiques à travers les interprétations de traces d’écritures musicales, que ce soit du côté de la Grèce, de Rome ou de la Mésopotamie. Même Bezos n’a pas fait ce voyage-là. C’est dire.