Sur la platine

Vincent Courtois en grand écran

Finis Terrae : music for a movie by Jean Epstein.


Un an et demi après la création en ciné-concert à Lyon, ville du cinématographe des frères Lumière, Le label La Buissonne publie la musique composée par Vincent Courtois pour le film muet de Jean Epstein.

Entre le cinéma et Vincent Courtois, on sait le lien solide. De nombreux projets illustrent l’amour du musicien pour le grand écran. On pourrait dire qu’il sait habiller les paysages, les road-movies et les travellings comme Michel Legrand les sentiments. Mais il manquait une escale entre West et Bandes Originales, entre la terre bretonne qu’il connaît depuis l’enfance et sa passion des images. Aussi, malgré l’évidence, cet album a pris le temps de mûrir avant de s’imposer à Courtois. C’est la première fois en effet que le violoncelliste compose la bande originale d’un long métrage pour un orchestre créé à cette occasion. La résidence de création a été suivie à Lyon par notre photographe Christophe Charpenel à l’automne 2022. Vient désormais le temps de savoir si la musique, publiée ce printemps sur le label La Buissonne, parvient à s’émanciper du film.

Vincent Courtois © Christophe Charpenel

« C’est dans le cinéma de Jean Epstein et plus particulièrement sa période bretonne que j’ai finalement trouvé la force de l’image propice à déclencher la composition. En collaboration avec GP archives et Stéphane Moquet, directeur du Théâtre et Cinéma de Rosny-sous-Bois, j’ai choisi de travailler sur le magnifique Finis Terrae, tourné en lumière naturelle sur l’île d’Ouessant en 1929 et dans lequel Jean Epstein, plus que jamais auparavant, part à la quête du merveilleux au sein du réel », confie le musicien pour décrire la genèse de ce projet qui relie en outre sa Seine Saint-Denis natale et sa Bretagne d’adoption.

Aussi le son du violoncelle, venu du cœur, nous happe immédiatement. Amplitude et gravité sont jouées pleinement jusqu’aux notes très basses, avec cet art courtoisien de trouver la ritournelle qui hante, le thème inoubliable. On parle bien d’un des meilleurs violoncellistes actuels qui, quelles que soient ses réalisations, qu’elles flirtent avec la « grande musique » (Puccini dans Les Démons de Tosca ou Ligeti, Berio dans East) ou la pop, ne néglige rien tant il creuse au plus profond des intentions artistiques.

L’émotion déchirante est atteinte en quelques titres fonctionnant en tableaux (« Bannec », « Le Cauchemar d’Amboise ») qui dépeignent un quotidien fait de gestes brusques volés au lyrisme sauvage des îles de Molène et Ouessant, filmées par Epstein. La poésie atteint son paroxysme sur le majestueux « Les Goémons », qui fait naître, en cinq minutes épiques, des figures pittoresques appartenant au film… ou pas, il est clair que l’on peut désormais choisir.

Courtois trouve en Robin Fincker, fidèle collaborateur, un écho expressionniste parfait du début à la fin du disque. Perfection qui pâtirait d’une gémellité trop lisse s’il n’était secondé par la belle rudesse de Sophie Bernado au basson. Leurs graves se complètent et s’unissent. Leur souffle parvient même à dépasser la force tragique des cordes et de l’accordéon qui portent le projet, en particulier sur les thèmes empruntés à la musique traditionnelle et à la danse bretonne (par exemple sur « Les Volontaires » où Janick Martin, au diatonique, en grand habitué des festoù-noz, émerveille).

Avec le film muet Finis Terrae, Jean Epstein autoproclamé « lyrosophe », proposait une plongée dans les éléments et dans son univers de visionnaire animiste. Selon lui, « à l’écran, il n’y a pas de nature morte, les objets ont des attitudes. La poésie est donc vraie et existe aussi réellement que l’œil », écrivait ce disciple de Blaise Cendrars dans Le Cinématographe vu de l’Etna (1926). Il serait sans doute heureux de savoir que son écho sonore numérique vient d’être publié, quasiment un siècle après avoir imprimé ses visions sur pellicule, par un studio et label français parmi les plus réputés au monde.

On note qu’un ciné-concert sur le même film avait déjà vu le jour il y a 15 ans, orchestré par le compositeur et contrebassiste Pierre Badaroux avec Thierry Balasse (traitement sonore), Didier Petit (violoncelle) et Olivier Benoit (guitare), sur le même film d’Epstein.

Si cette nouvelle mise en musique, extrêmement réussie, prend aux tripes, on ne regrette que le côté, et c’est paradoxal, trop répétitif du thème musical tout au long des 51 minutes. Peut-être est-ce une conséquence de la fusion du son avec des paysages où le vent incessant rend fou, ou avec la perte de repères d’Ambroise, personnage du film qui se blesse et dont la plaie s’infecte au point de le rendre malade ? Folie, fièvre, répétition, transe… On se met alors à rêver que cette bande originale s’offre une nouvelle vie dans le monde de la danse. Qui sait ? Le Finistère n’est pas une terre de fin, mais d’éternel recommencement.


Finis Terrae : Music For A Movie By Jean Epstein :

  • Vincent Courtois : violoncelle, composition
  • Sophie Bernado : basson
  • Robin Fincker : clarinette, saxophone ténor
  • Janick Martin : accordéon
  • François Merville  : batterie

par Anne Yven // Publié le 11 juin 2023
P.-S. :

P.S. : Notons que l’accordéoniste sort cette année un disque en trio jazz, inspiré d’un roman de Jean Teulé qu’on attend avec impatience.