Chronique

Art Simmons

Piano aux Champs Elysées - Jazz in Paris

Art Simmons (p), Terry Donoughue (g), Bill Crow (b) , Dave Bailey (d), Ronnel Bright (p), Richard Davis (b), Art Morgan (d)

Label / Distribution : Gitanes Jazz / Universal

Dans Paris est une fête, Ernest Hemingway écrit :
« Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui
donniez. »

Le maître de cérémonie, dans toutes les boîtes de jazz “ Chez Inez ”, le
“ Ringside ”, le “ Vieux Colombier ”, le Mars-Club enfin, rue
Estienne près des Champs, était un Américain à Paris, Art Simmons qui, de 1949 à 1968, s’est
acquis l’estime de tous les musiciens professionnels, qui se regroupaient autour de lui à
chacun de leur séjour dans la capitale, pour recréer un autre coin d’Amérique, leur
Harlem sur Seine.
Jugé excellent accompagnateur, avec cette nuance un peu méprisante, comme si
l’accompagnateur n’avait pas de volonté créatrice propre, Art a toujours été
soucieux au contraire de définir sa place, et d’écouter précisément ceux qui
l’entouraient, de les mettre en valeur. Je me souviens d’avoir été frappée par cette
humilité lors d’un entretien avec lui, l’an dernier. Il avouait sa fierté d’avoir
été un bon accompagnateur, d’avoir su « s’adapter en imaginant » à chaque fois.
Il s’est employé à parfaire son talent plutôt qu’à le mettre en avant. Alors qu’il
avait son propre trio, jugé brillant à l’époque par Michel-Claude Jalard, qui écrivait en août
59, dans un article intitulé « Les plaisirs du Mars-Club » :
« Le groupe du Mars-Club a pu atteindre parfois une qualité d’inspiration qui le rendait plus
intéressant que l’ensemble d’Oscar Peterson ; une mise en place moins parfaite, certes, mais
des trouvailles et une finesse sensible qu’on ne décèle guère dans le groupe du J.A.T.P. »

C’est ce que l’on peut entendre * dans les deux compositions d’Art (
Art’s blues et Hommage to Neal Hefti) et les cinq standards merveilleusement arrangés,
dans la réédition d’un LP Boîte à Musique, enregistré le 13 mars 1956 en quartet.
Instrumentiste délicat (sa version de My Funny Valentine transcende littéralement ce thème rebattu
et magnifié pourtant par Chet ), solidement soutenu par les lignes de basse de Bill Crow, alors
dans le sextet de Gerry Mulligan, Art Simmons fait preuve d’un swing léger mais efficace et
d’un lyrisme serein, en exposant avec clarté thèmes et parties mélodiques (The lady is a
tramp). Sensible à ce jazz qu’il aime et sert avec ferveur, il sait aussi s’effacer au
profit du séduisant jeu du guitariste anglais Terry Donoughue et varier les intensités sonores
comme dans Art’s Blues.

On peut considérer cette réédition exemplaire de ce qui fut l’authenticité et
l’essence d’un jazz qui donne du plaisir et du bonheur même, dès la première
écoute. On aimerait encore pouvoir, comme à cette époque, flâner sur les Champs, retrouver
l’effervescence de la rive droite, et fortuitement apercevoir les silhouettes de Vian, Zazie,
Prévert, Gainsbourg, Salvador…

  • A noter que l’album contient également les titres de Ronnel Bright, accompagnateur
    de Sarah Vaughan, en tournée en Europe en 58, qui enregistra pour Polydor.