Chronique

Frédéric Borey

Lines

Frederic Borey (ts, ss), Camelia BenNaceur (p), Nolwenn Leizour (b), Stefano Lucchini (dm)

Label / Distribution : Fresh Sound Records

Une musique instrumentale mélodique, lisse et séduisante ? Quand on prend le temps de l’écouter vraiment, ce Lines, quatrième album en leader du saxophoniste bordelais Frédéric Borey est une source de plaisir intense, révélant élégance et subtilité, et un groove discrètement efficace (« Blue Day »). Il est l’expression affirmée d’une musique personnelle, lyrique, jamais anguleuse, seulement mélancolique. La première impression, qui ne fait que se renforcer à l’écoute de l’album, est due à la beauté de sa sonorité : dix-sept années d’études classique, voilà qui contribue à la genèse d’un son personnel, surtout si, de l’aveu même de Borey, il a toujours été une priorité, même quand on a changé de direction musicale. Donc, une voix unique de saxophoniste délicieusement composite, puisque l’artiste joue des deux avec aisance, du ténor principalement, mais aussi du soprano.

Le titre de l’album, volontairement sobre, résume une musique qui creuse certains sillons classiques : « Line for Kodaly », « Line for Bartok » et le très beau « Line for Debussy », un de nos préférés. Lines a bien un rapport avec les compositeurs cités, le saxophoniste ayant utilisé de très courtes mélodies monodiques de ces auteurs (« Love’s a Burden » pour Bartok, « The Prisoner » pour Kodaly et « Syrinx » pour Debussy), totalement harmonisés jazz pour improviser et créer un univers personnel. « Line for Warne » est une autre référence, la mélodie devenant un exercice de style, en référence à la musique de Warne Marsh et de Lennie Tristano, sur une grille de standard transposée.

On ressent une sérénité triste dès le premier titre, « Dwarf Steps » (jeu de mots avec le tube coltranien), qui ouvre l’espace de jeu du quartet, « semblant vouloir toujours retenir le temps » … avec un son droit et velouté, léger et plein, un phrasé souple et impeccablement maîtrisé, des aigus fins. Si l’on est impressionné par la qualité des compositions, la réussite collective est évidente avec un art assumé de l’« interplay » - le mot étant plus explicite que sa vilaine traduction de jouage. Et un indicible sentiment s’empare de nous sur l’avant-dernier titre, « Exil », hypnotiquement triste, adressé peut-être à tous les musiciens de jazz qui s’installent à New York parce que le jazz est la musique de là-bas et qu’il faut, à un moment ou à un autre, franchir l’Atlantique…

Bref, un quartet de haute volée et qui sonne. Frédéric Borey s’est entouré de musiciens du cru, élargissant ainsi le spectre du jazz new-yorkais représenté par le label Fresh Sound New Talent, pour une proposition équilibrée, entre abstraction lyrique et figuration mélodique. Un piano moderne pratiqué dans un esprit classique (Camélia BenNaceur) et une rythmique attentive (Nolwen Leizour, contrebasse) et Stefano Luchini, batterie), savent transmettre le raffinement d’un jazz bien compris.

Frédéric Borey, un nom à retenir : ce saxophoniste imprime un éclat renouvelé à chacune de ses interventions, avec la patine douce-amère d’un son et d’un phrasé longuement mûris.