Chronique

René Urtreger

Tentatives

Label / Distribution : Minium Music/Discograph

Pour son troisième album solo en plus de cinquante ans de carrière, René Urtreger, conduit par l’énergie indomptable de son producteur Philippe Ghielmetti, récidive, après le splendide Onirica, enregistré en 2001 sur le label Sketch, avec Tentatives, ainsi nommé en référence à cet « essai » bien plus sportif que littéraire ou musical.

Il déclare ainsi une tentation réussie, sans impasse, incluant une prise de risques pour ce pianiste qui a connu au cours de sa longue carrière quelques éclipses plus ou moins partielles mais qui a toujours témoigné d’une belle pugnacité.

Ainsi neuf standards (dont certains étaient déjà joués par lui au moment de leur création) sont repris de sa belle manière : un vibrant hommage au catalogue inépuisable de ces petites chansons que l’on fredonnera toujours (« My Funny Valentine »), de ces mélodies éternelles (« Laura ») des compositeurs new-yorkais qu’il affectionne tout particulièrement. René Urtreger avoue sa prédilection pour la ville, le jazz et l’humour new-yorkais, et cite Jérôme Kern, George Gershwin, Cole Porter, Irving Berlin. Le final, « Il neige sur Pernes », est un solo improvisé évoquant l’enregistrement en janvier 2005 à la Buissonne, le studio désormais mythique de Gérard de Haro, avec son piano également choyé, accordé finement et souvent.

Un album de René Urtreger est toujours épatant : très vite transparaît tout « l’amour qu’il porte à ce truc en bois en ivoire ». Il a un son, un phrasé identifiables immédiatement, et arrive à réécrire, à relier entre elles les différentes mélodies, brodant de fines arabesques et composant son propre « Songbook ».

Si Martial Solal s’est amusé avec talent à déconstruire les standards, Urtreger joue à merveille de cette palette de nuances et de tons, et se rend maître des 88 touches. Il peut aussi bien rejouer la même phrase, faire semblant de se tromper, hésiter comme dans son « What Is This Thing Called Llove ? », obtenir des tonalités sourdes, bruyantes, ou au contraire les plus fins pianissimo, des suraigus aventureux, bouleverser les rythmes sur « Dear Old Stockholm ».

Sa mémoire de cette musique et son expérience lui confèrent une grande sagesse : avec rigueur, il sait ce qu’il aime et il aime ce qu’il connaît et domine. Il eut cette jolie expression de « doigts qui dansent » en évoquant Red Garland, mais cette phrase lui sied à merveille, tant il est vrai que « ça » swingue quand il joue. S’il a l’air parfois d’hésiter au moment de commencer un thème, il sait boucler sa chanson avec art, finir par une pirouette avec légèreté, humour et douceur. Car la tendresse n’est jamais loin.

Il serait capable de jouer tout ce répertoire sans s’arrêter, et d’évoluer, par ces subtiles transitions dont il a le secret, d’accommoder « I’ll Remember April » et de glisser ainsi sur « Someday My Prince Will Come ». Jamais Urtreger ne nous perd dans les méandres de son interprétation ; il nous lance au contraire un fil d’Ariane et tout le plaisir est alors de se laisser conduire.