Chronique

Baptiste Trotignon

Hit

Baptiste Trotignon (p), Thomas Bramerie (b), Jeff Ballard (dms).

Label / Distribution : Naive

Il est bien loin le temps où un tout jeune Baptiste Trotignon interprétait le rôle d’un pianiste dénommé Rydell dans Le Nouveau monde, réalisé en 1995 par Alain Corneau et adapté d’un roman du plus musicien des écrivains, Pascal Quignard. Il a parcouru un sacré chemin depuis cette époque initiatique, il y a vingt ans, et de nombreuses rencontres ont marqué un itinéraire pourtant semé d’expériences fondatrices en solo. Pour cette nouvelle aventure qu’est Hit, son douzième disque (tous sont parus sur le label Naïve), il renoue avec la formule du trio (Fluide en 2000 et Sightseeing en 2001), et si les musiciens ont changé au bout de treize années – Thomas Bramerie et Jeff Ballard remplacent respectivement Clovis Nicolas à la contrebasse et Tony Rabeson à la batterie -, le sens donné à une formation si emblématique (et périlleuse) dans l’histoire du jazz est inchangé. Trotignon le précise lui-même : s’il apporte le répertoire (il signe toutes les compositions), il s’agit bien ici d’un vrai groupe au sein duquel les responsabilités sont partagées, chacun apportant ses couleurs et textures propres, en particulier dans les improvisations. A ce petit jeu, Ballard n’est pas le dernier, lui qui n’hésite pas à recourir à l’utilisation de différents objets pour modifier la sonorité de son instrument (des rustines sur « Paul » !).

A 40 ans, Baptiste Trotignon paraît au meilleur de sa forme : son désir de mélodie et son appétit pour la diversité des climats, ceux qui mêlent pop et rock au jazz, parfois rehaussés de saveurs latines, trouvent sur ce disque un exutoire la plupart du temps joyeux via une musique qui, au-delà de son raffinement, reste constamment ludique. Hit enchaîne une succession de thèmes accrocheurs ; on sent qu’il s’agit de partager ses songs autrement - à savoir de façon instrumentale - dans un esprit proche des chansons de… Song, Song, Song (2012), y compris lorsque certains thèmes laissent affleurer la nostalgie ou l’introspection (« Spleen », « Liquid »). Et il y a bien chez ce pianiste une évidence du propos, un sens de la composition qui s’écoule naturellement et renvoie à l’idée de fluidité qu’il ne cesse de modeler depuis le début.

Avec ce qu’il qualifie lui-même d’attachement amoureux pour la tradition afro-américaine, à laquelle adhèrent sans réserve aussi bien Bramerie que Ballard, Trotignon atteint sans peine l’objectif qu’il s’est fixé : maintenir l’équilibre entre phrases mélodiques et moments plus percussifs, et sculpter une musique qui soit « le métissage de multiples sources d’inspiration ». Et surtout ne jamais se tromper de direction : « C’est l’instinct qui précède l’intellect, et non l’inverse. » Hit est le disque d’un musicien libre, sa vie est dans sa musique tout autant que la musique est dans sa vie.