Chronique

Alain Vankenhove

Point of Views

Alain Vankenhove (tp, flh), Uri Caine (p), Sébastien Boisseau (b), Jeff Ballard (dms)

Label / Distribution : Cristal Records

Alain Vankenhove fait partie de cette catégorie de musiciens réclamés, présents dans de nombreux orchestres comme le Print & Friends de Sylvain Cathala, Qüntêt ou le Rêve d’Éléphant Orchestra. Mais sa discographie personnelle est chiche ; on avait pu escalader des montagnes en sa compagnie pour le label Yolk, dans une atmosphère très électrique qui allait bien au teint du trompettiste, également bugliste. On le retrouve ici dans un quartet bâti à l’occasion de ce disque, qui à n’en pas douter va faire converger toutes les antennes des amateurs de jazz vers le jeu léger et direct de Vankenhove. Reconnaissons que l’énergie de « Humanity », avec cette trompette qui entraîne le mouvement comme on souffle sur un moulin en papier mérite l’attention. Tout comme la grande place laissée par le trompettiste à ses trois compagnons de session sur l’inaugural « Mini Street » où il chahutent en toute quiétude, bien emmenés par l’élégance boisée de Sébastien Boisseau.

On peut parler de dream team pour ce Point of Views. Le mot ne parait pas un seul instant galvaudé. Sur « Cristal », qui tire autant son nom du label sur lequel est paru ce disque que de la limpidité du propos, l’alliance de Boisseau avec le batteur Jeff Ballard, récemment vu dans le ReFocus de Sylvain Rifflet, est idéale. Il en va de même entre le leader et le pianiste Uri Caine, qui clôt le carré magique avec le talent qu’on lui connaît. Il pourrait être la vedette américaine [1] venue « faire le cachet ». Il se fond au contraire à merveille dans l’écriture de son hôte, particulièrement en verve. Dans « Delicatesse », il offre même une dimension et un relief remarquables à une riche discussion avec le leader. Le groove est franc, délesté de fioritures, mais ne se départit jamais d’une grande douceur, maintenu au chaud par le jeu solaire de Vankenhove qui jubile manifestement de se découvrir en pareille compagnie. Il se place même parfois dans la posture de l’auditeur qui, même s’il ne s’efface pas totalement, est profondément attentif à une machine rythmique insolemment fluide.

Ne nous trompons pas cependant : la dynamique du quartet est belle, mais elle n’est pas l’attraction unique, en tout cas pas la principale. Le héros de la fête, c’est bien celui qui a rassemblé tous ces solistes autour de ses brillantes compositions. Pour finir de s’en convaincre définitivement, il suffira de se laisser porter par « Barocco », le sommet de Point of Views. Le cuivre y étincelle comme s’il était sorti tout droit d’une pièce de Purcell. Parfois, on pourrait songer que le pastiche n’est pas loin, lorsque la trompette grossit le trait, joue avec l’élasticité du tempo et la complicité de la contrebasse. Mais on s’aperçoit qu’il s’agit d’une manière de créer de l’émulsion, de prolonger le jeu, d’en faire un vrai dialogue collectif sans sacrifier une certaine insouciance. Il en résulte une musique joyeuse voire espiègle, très colorée, qui suscite un grand plaisir, à jouer mais surtout à entendre.

par Franpi Barriaux // Publié le 7 janvier 2018
P.-S. :

[1Ballard, bien que citoyen étasunien, vit en France.