Scènes

Bleu Indigo au Quai Branly : Sao Paulo Underground

9 avril 2011. Un très beau moment de musique, à la fois intelligente et nourrie d’un esprit de fête propre à rendre le spectateur tout sourire.


Avant-dernier concert de la série Jazz Bleu Indigo au Musée du Quai Branly : Paris accueillait le 9 avril 2011 un Sao Paulo Underground visiblement heureux de jouer devant un public mais attentif et passionné, pour une soirée estivale et joyeuse.

Rob Mazurek vit entre Sao Paulo et Chicago. Plus exactement, il a passé huit ans à Sao Paulo, de 2002 à 2010, où il a rencontré les membres de Hurtmold, virulente formation instrumentale plutôt orientée rock, dans la filiation de Tortoise, groupe avec lequel Mazurek a d’ailleurs joué à plusieurs reprises. Les musiciens de la scène chicagoane, qu’ils appartiennent à l’AACM ou à des sphères plus rock, sont tous très liés et passent avec souplesse d’un projet à l’autre. Dans sa ville natale, Mazurek pilote le Chicago Underground, un noyau musical à géométrie variable formé avec Chad Taylor. Chicago Underground Duo lorsque Rob et Chad jouent ensemble, Trio lorsque Jeff Parker les rejoint et Quartet quand Noel Kupersmith tient la contrebasse. Il semblait donc naturel que Mazurek joue avec des Brésiliens fonctionnant dans le même esprit. Sao Paulo Underground était né.

Le concert de cet après-midi, dans le très beau théâtre Claude Lévi-Strauss du musée du Quai Branly, réunissait donc le noyau du Chicago Underground, à savoir Rob Mazurek (cornet, effets électroniques) et Chad Taylor (batterie), ainsi que trois membres de Hurtmold : Maurizio Takara (batterie, ukulélé, informatique musicale), Guilherme Granado (clavier, machines) et Richard Ribeiro (batterie, percussions). La disposition scénique enchante l’oeil avant même que les musiciens entrent en scène : trois batteries, l’une au centre, les deux autres se faisant face de chaque côté du plateau. Au milieu, Rob Mazurek, son cornet et quelques pédales d’effet, et Guilherme Granado avec ses claviers et ses machines.

Leur musique est plus qu’un simple mélange entre Chicago Underground et Hurtmold. Elle invente ses propres méthodes, ses circuits d’échange entre les cinq protagonistes, ses modes de déploiement spécifiques, ses manières singulières d’aller puiser à des sources diverses (jazz américain, travail de l’AACM, musiques traditionnelles du Brésil, rock indépendant, compositions électroniques). Les titres sont, pour l’essentiel, de nouvelles compositions.

Dans un premier temps, c’est le cornet de Mazurek qui domine, avec ses rafales de notes saccadées, le tremblé si particulier de son jeu, le son qui avance par salves courtes. Takara l’accompagne sur des motifs répétitifs à l’ukulélé tandis que Ribeiro et Taylor déroulent une rythmique très tenue. Au départ l’allure est plutôt sage, cérébrale, pleine de circonvolutions. Mais très vite, passés les deux premiers titres enchaînés, tout s’emballe. Les batteries se font plus virulentes, le cornet étire ses notes, les claviers vibrionnent et saturent. Le jeu collectif est plus heurté, les syncopes plus marquées ; l’ukulélé, pour un peu, pourrait presque jouer le rôle d’une basse funk. La musique prend son temps pour se déployer et tourbillonner autour de gammes modales et d’une rythmique hypnotique.

Quand Maurizio Takara abandonne l’ukulélé pour la batterie, la messe est dite : le concert ne sera plus que rythmiques endiablées, jeu flamboyant du cornet et sons électroniques étranges, pour culminer dans une batucada galvanisante. Il se prolongera le temps de plusieurs morceaux généreux plus un rappel au final chanté. Un concert joyeux, vif, offert par des musiciens visiblement heureux d’être ensemble sur scène (il faut les voir saluer et remercier le public, faire des petits signes à ceux qui prennent des photos), copieux aussi. Un très beau moment de musique, à la fois intelligente et nourrie d’un esprit de fête propre à rendre le spectateur tout sourire.