Scènes

Saalfelden is Saalfelden is Saalfelden

La 43e édition s’est tenue en août avec une soixantaine de concerts à la clé.


Saalfelden est Saalfelden est Saalfelden – pour plusieurs bonnes raisons. Son environnement alpin pittoresque offre des sites de concert remarquables. En outre, un nombre croissant de musiciens locaux forme une constellation surprenante à l’intérieur du cosmos créé par le festival. Enfin, Saalfelden est sans aucun doute un endroit privilégié pour accueillir des artistes, producteurs, tourneurs et journalistes du monde entier dans un cadre des plus hospitaliers proposant une grande diversité musicale. En résumé, la cité alpine de 17000 habitants est une plaque tournante qui présente des artistes venus des quatre coins du monde – du Japon à la Norvège en passant par les Amériques et l’Australie. À la différence de nombreux festivals, celui-ci excelle en créant une communauté d’artistes, d’invités et de spectateurs.

À Saalfelden, la musique est jouée sur un plan d’eau, sur le versant d’une montagne, dans une forêt, dans des pâturages, dans une imprimerie, dans un parc, dans un centre culturel moderne (Nexus) ou plus traditionnel (Brücklwirtshaus), voire dans une usine désaffectée.

Mona Matbou Riahi (Melting Pot) © Matthias Heschl

La manifestation propose une programmation équilibrée mêlant musiciens du cru et de la scène internationale, qu’ils viennent d’Europe, des Amériques, d’Asie ou d’ailleurs. Cela permet à un nombre croissant de musiciens locaux d’évoluer en de multiples combinaisons aux côtés d’artistes résidents officiels – cette année, le chanteur suisse Andreas Schaerer et la joueuse de koto japonaise Michiyo Yagi. Le premier se produit dans le cadre de Hike Jazz, joue avec Kalle Kalima (guitare) et Tim Lefebvre (basse) ainsi qu’avec Stellar Stutter. La seconde monte sur scène un jour avec Eivind Aarset (guitare), le lendemain avec Ingebrigt Håker Flaten (contrebasse) avant de conclure en duo avec Hamid Drake (batterie). Parfois, les formations assemblées pour l’occasion ne répondent pas aux attentes, mais cela fait partie du jeu.

Parmi les artistes polyvalents, citons la saxophoniste suédoise Anna Högberg qui a donné quatre concerts : son propre sextet Attack, deux représentations avec Hymns Of Past And Future en compagnie du contrebassiste autrichien Lukas Kranzelbinder et de deux Américains, le batteur Billy Martin et la jeune saxophoniste Zoh Amba, et un trio comprenant le contrebassiste Ingebrigt Håker Flaten et le batteur suisse Julian Sartorius en plein air dans la forêt de Kollingwald. Une belle occasion de découvrir les multiples facettes de la souffleuse.

Trois concerts offrent à votre serviteur la possibilité de dessiner en direct, en réaction à la musique jouée. Cela commence avec Melting Pot, un projet annuel en partenariat avec quatre autres festivals, qui vise à regrouper de jeunes musiciens prometteurs provenant de différentes scènes européennes. Cette année Mona Matbou Riahi (clarinette), Louise van den Heuvel (contrebasse), Camila Nebbia (saxophone), Tuva Halse (violon) et Hubert Zemler (batterie) sont invités à former ce groupe ad hoc. Dans ce type de contexte et avec peu de temps pour se préparer, ce genre d’entreprise relève souvent du défi. Cette année, c’est une réussite. La prestation des cinq musiciens témoigne d’une cohésion convaincante qui n’empêche en rien les protagonistes de donner voix à leurs personnalités singulières. Le résultat est un concert bien équilibré et très agréable, sans sophistication excessive.

Tesserae Trio © Michael Geissler

Le Tesserae Trio du batteur Tilo Weber a l’originalité d’inclure Elias Stemeseder à l’épinette - une cousine du clavecin, plus facile à transporter et capable de rivaliser avec un piano à queue. Weber a toujours exprimé le souhait d’avoir un piano trio sans piano. Son désir est devenu une réalité et l’épinette se révèle être une excellente alternative au piano, même si des aménagements s’imposent. Il faut faire preuve de patience avant que ces sons inhabituels s’agencent et trouvent leur dynamique. Heureusement, le festival a programmé cette formation dans un lieu intimiste (et improbable) : l’imprimerie Fuchs. Deux observations viennent immédiatement à l’esprit : le tempo d’enfer et la complexité rythmique des morceaux présentés et brillamment portés par Petter Eldh. Par complexité, il ne faut pas entendre musique difficile d’accès – bien au contraire. Au bout du compte est livrée une musique d’une grande fluidité qui oscille entre Scarlatti et la fête foraine, ce qui nécessite un talent énorme pour l’exécuter correctement.

Le trio helvéto-austro-allemand How Noisy Are the Rooms est également d’une grande originalité. Composé d’Almut Kühne au chant, de Joke Lanz aux platines et échantillonneurs, et d’Alfred Vogel à la batterie, le groupe puise dans l’œuvre de la poétesse dada Elsa von Freytag-Loringhoven (1874-1927). Il donne vie à sa poésie dans un fantastique entrelacs entremêlant la voix de Kühne (articulant les vers staccato et sautillants de l’artiste allemande qui empruntent également à la glossolalie), les samples excentriques et éparpillés de Lanz et les ornements de Vogel (rythmes, éclats et frappes). Ce concert très émouvant, passionnant, syncopé, hilarant et libérateur est un régal.

Zoh Amba, Anna Högberg et Lukas Kranzelbinder © Matthias Heschl

Ces dernières années, le contrebassiste autrichien Lukas Kranzelbinder semble omniprésent à Saalfelden, même s’il est absent de la scène principale. Son projet Hymns Of Past And Future réunit plusieurs générations avec le batteur chevronné Billy Martin et deux jeunes saxophonistes, Anna Högberg et Zoh Amba. À l’instar de sa collègue suédoise, l’Américaine est aussi présente avec son propre groupe Bhakti et en duo avec le contrebassiste Nick Dunston.

Hymns Of Past And Future dégage une puissance hors du commun, et pas simplement du fait de saxophones en surrégime. En effet, la fluidité du groupe qui passe aisément de l’extase à la sobriété en passant par la tendresse et la gravité, est impressionnante. Une magie opère alors que la musique transporte le public grâce, notamment, à une magnifique cohésion – le plus beau compliment que l’on puisse faire à la musique improvisée. En vérité, le groupe met en pratique un concept clé de « music mind » forgé par l’immense Karl Berger, co-fondateur du Creative Music Studio à Woodstock en 1972, qui nous a récemment quittés.

Rob Mazurek « Fathers Wing » © Matthias Heschl

Father’s Wing de Rob Mazurek et le concert en forêt d’Anna Högberg ont un dénominateur commun : Ingebrigt Håker Flaten. Le premier groupe, complété par Chad Taylor à la batterie et l’Italien Fabricio Puglisi au piano (en remplacement de Kris Davis), se caractérise par des humeurs changeantes et imprévisibles en dépit d’orientations claires. Ces différentes températures ont rendu l’exercice fascinant à suivre. Une musique épisodique, vive et tendre, qui va toujours à l’essentiel sans se perdre dans des méandres.

La prestation en trio d’Anna Högberg’s dans la forêt de Kollingwald est de tout autre nature. Les échos, les bruissements et les murmures sont des caractéristiques des forêts en général. Souvent, les sons ne sont pas immédiatement et clairement localisables. Le défi pour les musiciens est alors de travailler avec ce type d’espace ouvert à l’air libre. La formation d’un jour offre non seulement des guirlandes de saxophones, mais aussi des sons très animés qui ont fait trembler les arbres et entretenu leurs chuchotements. Sartorius a l’habitude de ce type de situation et les deux autres compères n’ont pas raté l’occasion de se distinguer.

Sound Hazard du batteur Lukas Koenig est une œuvre de commande du festival. Elle réunit un ensemble de poids lourds, que ce soit en termes d’instrumentation ou de musiciens : Pat Thomas (piano), John McCowen (clarinette contrebasse), Farida Amadou (basse), Luke Stewart (contrebasse) en complément de Koenig (batterie, marimba et électronique). L’Autrichien est en état de grâce après son concert une semaine plus tôt à l’Arme Festival de Berlin, une révélation stupéfiante dans une orgie d’électronique en compagnie de Victoria Shen de San Francisco et de la chanteuse viennoise Rojin Sharafi. Koenig est un musicien qui a l’habitude de donner de l’espace à ses collègues tout en ayant un jeu serré et percutant. À Saalfelden, il n’y a pas de chant mais une musique d’une intensité ludique qui navigue entre l’éléphantesque et l’élégance. L’entreprise est audacieuse et ce concert de moins d’une heure ne permet malheureusement pas d’exploiter tout son potentiel.

Andreas Schaerer, Kalle Kalima, Tim Lefebvre © Matthias Helsch

L’artiste résident Andreas Schaerer n’est pas simplement un chanteur extraordinaire. Soit dit en passant, il aura vraiment marqué ce festival de son empreinte. Il est en effet passé maître dans l’art de la mise en scène et de la dramaturgie en jouant dans une grande diversité de décors imaginaires, souvent avec une touche surréaliste. L’affaire est purement suisse avec Svetlana Maras, magicienne de l’électronique, Björn Meyer à la basse électrique et Julian Sartorius, encore lui, à la batterie. Schaerer laisse beaucoup d’espace à ses compagnons et ce n’est qu’après un certain temps qu’il opère à partir des pulsations créées dans un profond espace – une tentative intéressante qui mérite d’être répétée. Son champ opérationnel est extrêmement vaste et si le festival a clairement choisi de mettre en avant un seul aspect, la qualité est au rendez-vous.

Le Dave Douglas New Quintet avec Marta Warelis (piano), Nick Dunston (contrebasse), James Brandon Lewis (saxophone ténor) et Joey Baron (batterie) conclut le festival par une magnifique apothéose riche et colorée. Douglas joue avec une grande force sans chercher à tirer la couverture à lui. Il fait confiance à ses musiciens, notamment les plus jeunes, qui ont du champ libre pour faire entendre leur voix. Enfin, le groupe associe adroitement le collectif et l’individuel. En ce sens, ce concert offre un bon récapitulatif des quatre jours qui auront été marqués par une grande diversité musicale.